mardi 29 juillet 2008

Le meilleur moyen de sauver Guilad Shalit

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Le meilleur moyen de sauver Guilad Shalit


Par Yéhouda Wegmann

Article paru dans Mekor Rishon le 25.07.08, traduit de l’hébreu par Méir Ben-Hayoun.

N.D.L.T. Yéhouda Wegman est colonel de Réserve. Il est l’un des rares théoriciens du système de défense israélien. Il a été chargé pendant onze ans à la formation des commandants de compagnie et des commandants de bataillons et a été instructeur à l'école de commandement et d'état major.

L’un des motifs pour exiger la libération de Guilad Shalit au plus vite possible et quelque en soit le prix se fonde sur le précédent de la disparition de Ron Arad. Cette comparaison est sans aucun fondement. Ron Arad n’a été, ni vu, ni entendu, depuis qu’il s’est éjecté de son avion, de sorte qu’on ne pouvait faire porter la responsabilité de sa captivité à une organisation et à une personnalité bien définies. Pour Guilad Shalit, c’est une tout autre affaire. Shalit est détenu par le Hamas. Cette organisation se targue de maintenir en captivité et de pourvoir à ses besoins. Les deux lettres de Guilad transmises par le Hamas à sa famille confirment la responsabilité exclusive de cette organisation et des ses dirigeants quant au sort de ce prisonnier israélien.

Le moyen d’empêcher le Hamas de faire subir à Shalit ce que voudraient nous mettre en garde ceux qui comparent son cas à celui de Ron Arad est très simple

L’Etat d’Israël ne doit laisser planer aucune ambiguïté sur deux points essentiels à l’attention d’Ismaïl Haniyeh et du leadership du Hamas. Tout d’abord, Israël les considère entièrement responsables du maintien en vie de Shalit, de son bon traitement et de son état de santé. Deuxièmement, toute atteinte envers Shalit, ou sa disparition entraîneraient la liquidation violente de Haniyeh et de tout l’appareil politique du Hamas, comme ce fut le cas pour le cheikh Ahmed Yassin et pour le docteur Abd El Aziz Rantissi.

Il est très surprenant qu’un ancien patron du Shabak (services de sécurité intérieure), le général de réserve Ami Ayalon, se fasse l'écho de la similitude entre le cas Shalit et le cas Arad - qui nécessiterait de libérer une masse d’assassins en contrepartie d’un seul soldat prisonnier. Ami Ayalon, combattant courageux, s’était distingué de la plus haute marque de bravoure militaire pour son rôle dans le raid sur l’Ile Green* en 1969. Est-ce que sa vision sécuritaire aurait été submergée par le raz-de-marée populiste du slogan « ramener les enfants au plus vite et à tout prix »

« Kol Israël » (ainsi que le site guysen, ndlt) fait régulièrement le décompte des jours de captivité de Shalit. Est-ce que le métronome défaitiste de la station de radio publique israélienne a eu raison de la dureté de cet ancien baroudeur des commandos de marine ?

Les compagnons d’arme de Shalit se sont joints à Ayalon et à ceux qui s’empressent à le faire libérer à n’importe quel prix. Les soldats de la compagnie de Guilad n’ont pas fait preuve de capacité opérationnelle exceptionnelle le jour fatidique où leur camarade a été capturé. Immédiatement après avoir raccroché l’uniforme, ils ont déclenché une campagne compassionnelle hyper médiatisée qui les a menés tout droit devant le Ministre de la Défense. On peut supposer qu’à la suite de la capture de Shalit, ils en ont tiré les leçons et ont amélioré leur efficacité opérationnelle. Il aurait cependant été préférable qu’ils ne soient pas accueillis avec tous les honneurs au ministère de la Défense justement dans un contexte lié à leur plus grand fiasco opérationnel.

En absence de normes militaires claires et avec l’appui enthousiaste des médias, ceux, qui ont contribué indirectement au succès du rapt de Shalit, ont été reçus en invités de marque à la Défense. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que les jambes de ces démobilisés les aient menés tout droit au bureau du Ministre de la Défense vu la contribution de Barak aux conditions favorables au rapt de soldats créées par lui juste avant la deuxième guerre du Liban.

Après chaque kidnapping, la réflexion israélienne s'est habituée à ne se limiter qu'aux modalités de négociations et d’échanges de prisonniers au lieu de s’investir dans des aspects militaires opérationnels de sorte à rechercher des solutions créatives qui porteraient de sérieux revers à l’ennemi. Cette conception de négociations a eu des conséquences fâcheuses induisant un état d’esprit défaitiste dans le public figeant ainsi la réflexion militaire.

Lorsque le gouvernement concentre ses efforts uniquement sur des horizons d’échange de prisonniers, il exempte Tsahal de son rôle de proposer des solutions militaires audacieuses aux problèmes de rapt de soldats israéliens. L’exclusivité donnée à une réflexion comme celle en vigueur aujourd’hui n’aurait jamais pu faire naître des dénouements comme celui de l’opération Entebbé en 1976 ou le rapt des officiers syriens en 1972, qui permit de récupérer nos soldats détenus alors à Damas.

Pourquoi Tsahal devrait-il s’ingénier à trouver des solutions à hauts risques si déjà Haïm Ramon, celui qui envoie les ballons d’essai d’Olmert, laisse entendre qu’il faudra « plus de flexibilité dans les critères de libération de prisonniers palestiniens», alors que les critères déjà existants ont fondu comme neige au soleil après les précédents échanges de prisonniers.

Le gouvernement israélien actuel a une très mince chance de s’en sortir – par une transition conceptuelle radicale pour tout ce qui touche à la captivité de Shalit.

En premier lieu, le Premier Ministre devra se délester de toute mentalité d’échange qui lui a été inoculée et qui se fonde sur une conception fausse voulant que Guilad soit un « enfant ». On doit se référer à Guilad Shalit comme un héro national et pas uniquement sur un registre de compassion. On doit le considérer comme un combattant isolé en terrain ennemi qui doit se mesurer du mieux qu'il le peut, de même que les héros des générations précédentes de Tsahal. Une telle approche insufflera à son entourage, si ce n’est à lui-même s’il n’est pas complètement coupé du monde extérieur, les forces nécessaires à une lutte pour le ramener à la maison sans pour autant l’échanger contre des centaines d’assassins dont la libération engendrera sans aucun doute la mort de nombreux israéliens.


Et les médias dans tout ça ? Comme les médias constituent un magma privé de colonne vertébrale et de quelconques valeurs, il est très aisément concevable qu’ils s’adapteront très vite à cette nouvelle norme.

mardi 22 juillet 2008

Manifester en silence ?

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Manifester en silence ?
Par Méir Ben-Hayoun




Très cher Nissim Guetta,

Ci-dessous, j'ai apposé ton appel pour la manifestation de ce soir.

Manifester en silence pour la libération de Gilad Shalit? Et puis quoi encore? Et en plus, alors qu'à l'instant même, à cent mètres de l'endroit où toi et Eliezer Zis organisez la manifestation de ce soir, un arabe sur une pelleteuse a encore tué un juif et a essayé d'en assassiner plusieurs autres? Non, ça ne va pas cette histoire de "manifestation silencieuse". Le seul silencieux cachère en de telles circonstances, c'est le silencieux qu'on adapte au bout du canon d'un pistolet ou d'un fusil d’assaut, et encore! J'exagère? Si la réponse est oui, c'est que vous n'avez pas encore saisi la teneur de la tragédie nationale que nous traversons, dont la détention de Shalit n'est qu'un des aspects qui frappe l'imagination certes, mais pas le pire. Des juifs, des femmes, des personnes âgées, des enfants, se font écrabouiller régulièrement à Jérusalem par la bestialité arabe et ceci depuis huit longues années et ça n’en finit pas. On n'a pas encore réalisé? Et les arabes de Jérusalem, qui ont contribué la majorité de leur voix au Hamas lors des élections pour l'AP, continuent leur cohabitation avec nous, à nous prendre dans leurs taxis, à commercer avec nous, à travailler chez nous, à se faire soigner dans les hôpitaux, à toucher les émoluments de la sécurité sociale, comme si de rien n’était.


Manifester "dignement en silence", c'est donc ça la réponse de juifs revenus après 2000 ans à Sion?

Ca me rappelle les juifs qui allaient mourir « dignement » et en « silence ». Il y en avait même qui jouaient des symphonies magnifiques, des summums de sublimation d’exécution d’œuvres de musique classique, si tu vois ce que je ne veux pas dire?

Pas de silence ! C'est le sang du terrorisme arabe et de son soutien populaire qu'on doit exiger, à Jérusalem, à Gaza, dans le Sud Liba - faire couler le sang de l'ennemi génocidaire arabe à flot pour se venger – oui ! Pour se venger, parce que la vengeance sur les ennemis d'Israël est une valeur juive suprême. On dira bien demain matin vers la fin de la prière de Shahrit pour le psaume du jour : « El Nekamot Hashem, El Nekamot Ofia » ? Celui qui soutient le contraire, qu'il aille se confectionner une soutane et se coiffer d’un calot vaticaniste à la place de la kippa.

Le sang juif coule à flot régulièrement à Jérusalem. Une maman a jeté sa gosse de six mois par la fenêtre de sa voiture pour la sauver avant de se faire broyer elle-même. Nos ennemis nous ramènent les cadavres mutilés de nos braves et nous leur cédons des assassins à côté desquels Jack l'éventreur est un enfant de chorale. Et tout ce qu'on trouve comme mot d’ordre, c'est d’appeler à manifester en « silence » pour la libération de Gilad Shalit?

La seule revendication à exprimer à haute voix , à hurler et à en faire trembler les murs de la cité gouvernementale, de la Knesset, et de la Vieille Ville, à en faire chanceler les sièges bien rembourrés qui enveloppent les arrières trains des dirigeants du pays, c'est l'appel à la vengeance juive sans pitié. Ce sont les terroristes arabes faits prisonniers à exécuter un par un quelle que soit la raison de leur emprisonnement. C'est la tête de Berghouti à empaler sur un poteau électrique. Ce sont les résidences des arabes qui prônent l'éradication de notre Etat et soutiennent les thèses génocidaires du terrorisme à Jérusalem à mettre à disposition gratuitement pour les sans logis et pour les nouveaux immigrants. Les masses arabes en Israël s'identifient majoritairement à nos ennemis et exultent de joie depuis le défilé de triomphe de Samir Kountar à Beyrouth – nous devons les opprimer et les expulser jusqu’au dernier sans état d'âme.
Par contre, les quelques arabes innocents de tout soutien ouvert ou discret à nos ennemis doivent être épargnés.
Comment de telles mesures souhaitées par tous et par toutes peuvent elles avoir la chance de se concrétiser si on n’ose même pas les formuler clairement ?

Seulement alors, Gilad Shalit aura une chance de revenir sain en en bonne santé à la maison. Sinon sa libération, s’il n’a pas encore été exécuté Dieu préserve, dans les modalités de folie furieuse abdicataire, ce sont des centaines de juifs qui seront condamnés à mort, Dieu nous en préserve.

Je sais Nissim que tu es d’accord avec moi et que pratiquement la majorité absolue des francophones d’Israël qui sont sains de corps et d’esprit le sont aussi et sont peut-être encore plus radicaux que moi. Mais si on ne dit ces choses d’une voix claire, forte et tonitruante, le silence de ta manifestation sera plus explicite ? Comme moi, tu sais très bien que non. Alors maintenant, dis-moi quel est le vrai but de cette manifestation « silencieuse » ?

A suivre

Appel de Nissim Guetta
Vous comptez sur nous et nous comptons surtout sur vous pour ramener VIVANT Guilad Chalit merci et a ce soir mardi 22 juillet 2008 à 19h30 précise

Guilad à la maison !
VIVANT !!!
Marche silencieuse à Jérusalem pour Guilad

samedi 19 juillet 2008

Israël face à son devenir

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Israël face à son devenir

Par Manitou, le Rav Yehouda Léon Ashkénazi, Zatsal
Article publié dans l’Arche, no 439, avril 1994, pp.20-23

Deux évènements majeurs ont marqué l’année écoulée. D’une part le projet d’accord décidé à Oslo entre le présent gouvernement israélien et l’OLP, d’autre part, et alors même que se développent de difficiles négociations pour le faire aboutir, l’annonce de l’établissement de relations diplomatiques entre le Vatican et l’Etat d’Israël. Seul l’avenir dira l’importance réelle et les conséquences éventuelles de tournant pris par l’histoire d’Israël à ces deux occasions. Il est toutefois clair que, dans les deux cas, quelque chose d’irréversible s’est produit.




Israël parle, directement et en vue d’un accord réel, avec deux entités qui, à des titres divers, étaient censées représenter la contestation absolue de son existence même. D’un côté, en effet, l’Eglise catholique s’était toujours connue comme étant elle-même Israël, ayant pour capitale religieuse Jérusalem au moins autant que Rome ; de l’autre, l’OLP était censée représenter, de la manière la plus radicale, la revendication de l’islam en général, et du monde arabe en particulier, sur la terre des Hébreux[1] avec la même Jérusalem comme ville sainte et capitale politique. Là cependant doit s’arrêter l’analogie, car les enjeux, proches comme lointains, ne sont pas de même nature. Toutefois, de bons esprits pourraient déceler entre ces deux faits un lien qui ne serait pas de simple concomitance : c’est ainsi que Mgr Decourtray, archevêque de Lyon, parlant de l’accord entre le Vatican et Israël, déclare : « Il pourrait aboutir entre de bonnes relations entre Israéliens et Palestiniens. Mon espérance est celle de la paix dans ce Proche-Orient[2]… » A vue juive cependant, et selon une perspective biblique, on retiendra toutefois que, pratiquement dans le même temps, Israël amorce des négociations avec les deux autres lignées d’Abraham, avec d’une part Esau, le frère de Jacob qui lui disputait le nom d’Israël, avec, d’autre part, Ismaël qui lui disputait l’héritage de la terre d’Abraham[3]. Quoi qu’il en soit, il est clair qu’il n’est pas nécessaire de percevoir le sens juif de l’histoire d’Israël – et beaucoup d’Israéliens sont dans ce cas – pour se rendre compte cependant que la société israélienne est d’ores et déjà menée à reconsidérer de manière fondamentale la vision qu’elle avait jusque là de son projet d’identité. Et cela, essentiellement dans l’ordre de ses rapports avec l’ensemble du peuple juif. En d’autres termes, sommes-nous déjà rentrés dans l’ère post-sioniste ?


Cela sera très certainement le principal sujet qui occupera, dorénavant, les intellectuels juifs et israéliens dans leur tentative, jamais complètement aboutie, d’éclairer la nature de ce qu’ils auraient en commun. Héritage d’une mémoire ancestrale commune, d’espérances et de valeurs convergentes, un indéniable sentiment de familiarité, dans le sens de la participation à l’aventure historique d’une même famille, témoigne qu’en dépit de la différence des insertions sociologiques il s’agit bien du même peuple….Toutefois, l’environnement culturel change rapidement d’allure. Pour la diaspora – et c’était le cas à l’origine pour les fondateurs de la société israélienne – il s’agit encore d’un environnement chrétien. Même déchristianisé en grande partie, l’humanisme occidental reste celui de l’âme chrétienne. Pour la société israélienne, en revanche, la direction que prend l’engagement politique actuel est celle d’une imbrication de plus en plus évidente dans la « personnalité » arabe et islamique.

Or nul ne peut prédire le développement concret d’une société aussi dynamique que la société israélienne. Cela dépend de plus, bien évidemment, des options proprement politiques. Nul ne sait ce que seront les résultats des prochaines élections, et par conséquent les tenants des postes clés de l’éducation nationale et de l’intérieur.

Et de fait, l’objet de ces réflexions n’est pas du tout de rendre compte de la complexité extraordinairement fluide du monde politique et idéologique israélien. Mais tout autrement, de tenter de mettre en évidence un certain nombres de tendances, de lignes de rupture, qui s’annonçaient déjà depuis les origines, mais qui ne se dévoilent avec autant d’intensité que depuis les évènements de l’année écoulée. Dans une telle entreprise, l’on ne peut masquer son équation personnelle. Et je ne cacherai pas que devant ces deux problèmes, tout aussi délicats, l’un que l’autre, le rapport à la chrétienté et le rapport à l’islam, mon sentiment profond est radicalement différent. Autant j’envisage, à long terme, une régularisation positive de nos liens avec le monde chrétien, autant je vis les péripéties et la méthode des négociations avec le monde arabe, et notamment la Syrie et l’OLP, avec perplexité et inquiétude. Je dirai peut-être à une autre occasion quel serait le prix à payer pour la paix profonde avec le monde chrétien et en quoi la diaspora juive devrait inévitablement en faire les frais. Je me bornerai aujourd’hui à quelques remarques sur les conséquences des options actuelles vis-à-vis de la paix avec les Arabes, en ce qui concerne les perspectives culturelles de la société israélienne.

En fait, il s’agit de la nature « juive » de l’Etat juif. Laissons de côté le débat qui consiste à se demander si l’Etat d’Israël doit être un Etat « juif » dans le sens théocratique du terme, ou l’Etat des Juifs, leur religion étant le judaïsme. Je suis de ceux qui pensent que Herzl avait essentiellement en projet un Etat des Juifs [4] où ils pourraient prendre en main leur destinée historique et politique. L’histoire des hommes, et comme croyant cela signifie pour moi aussi la Providence, en a fait l’Etat hébreu, ou plus exactement est en train de le faire. Une mutation d’identité dont l’objet est de transformer l’identité juive en identité hébraïque retrouvée, ne peut se faire en un instantané magique. Pour comprendre de quoi il s’agit, et jusqu’à présent plus de penseurs israéliens laïcs que religieux l’avaient compris, il faut faire l’effort de distinguer entre le sens sociopolitique du mot juif, et son sens d’identité culturelle, spirituelle et religieuse. Dans le sens sociopolitique, le Juif a toujours été un Hébreu de l’exil, indexé à l’identité de cités étrangères, c'est-à-dire un « judéo-quelqu’un-d’autre ». En ce sens, tous les israéliens sont certes, sans jeu de mot, d’origine juive. Mais pour l’immense majorité d’entre eux, le «sionisme» consiste à engendrer la nation hébraïque qui n’aurait plus rien à voir avec le statut sociopolitique des Juifs de l’exil.

C’est à partir de là qu’un grave problème se pose, problème que le projet d’accord avec l’OLP, dans sa philosophie même, dévoile et accuse. Il s’avère en effet que la solidarité des membres d’une société assiégée, la jubilation de se retrouver, en hébreu, entre rescapés de cent vingt exils, avait masqué le fait que les motivations profondes de ce même sionisme étaient dangereusement différentes. J’en définirai quatre principales arbitrairement schématisées, toutes les amalgames étant possibles à l’échelle individuelle, la personne humaine étant, comme on le sait éminemment paradoxale.



En premier lieu, étaient sionistes des Juifs qui voulaient abandonner le judaïsme comme religion et spiritualité sinon comme culture et histoire, en même temps que le statut du Juif d’exil. Leur diagnostic était que même l’émancipation ne pouvait leur assurer une survie culturelle, et que pour cela il fallait se déjudaïser en hébreu. Ce type d’Israélien se trouve tant à droite qu’à gauche sur l’échiquier politique.

En second lieu, ceux qui voulaient redevenir hébreux pour pouvoir être enfin authentiquement et pleinement juifs, et pas seulement en espérance à l’échéance de réalisation toujours différée.



En troisième lieu, ceux qui refusent le sionisme de l’Etat juif, parce qu’il s’agit d’un Etat qui n’aurait pas été fondé par le Messie, mais vivent la vie israélienne à leur manière, pour le privilège qu’elle accorde d’habiter la Terre sainte.

Et puis, en fin de compte, un certain nombre de Juifs irrémédiablement cosmopolites, parlant l’hébreu certes, mais qui ne sont là que parce qu’ils sont là, sans plus. Plusieurs d’entre eux d’ailleurs occupent d’importantes fonctions dans les grandes institutions du pays.

Tout cela, c’est l’ensemble de la société israélienne en maelstrom de mutation et qui vit, dans l’accélération, l’histoire que l’on sait. Or cette société découvre subitement qu’elle est en situation d’avoir à vivre la vie culturelle d’un Etat binational dont la culture aura à intégrer les valeurs judéo hébraïques mais aussi les valeurs arabo-islamiques. Celles des Arabes israéliens en premier chef , mais aussi celles des Arabes dits palestiniens, qui forment nationalement un même ensemble, bien qu’ils soient sociologiquement distingués. En Israël même, cette découverte ne mettra pas longtemps à s’imposer. La véritable question est de savoir ce que sera la réaction de l’ensemble du peuple juif de diaspora. Tout porte à croire qu’un bouleversement des apparentements spirituels et idéologiques s’ensuivra. De la forme que cela prendra, l’on ne saurait déjà préjuger. Mais le débat qui s’annonce risque de traumatiser bien des consciences.

Et, de fait, on voit mal, dans l’état actuel des choses, de quel côté apparaîtrait l’instance d’unanimité qui pourrait garantir un cohérence minimum d’une société confrontée, sans préparation suffisante, à des décisions irréversibles pour l’avenir de son projet d’identité. Beaucoup pensent, et je suis de ceux-là, qu’il s’agit d’un problème absolument à Israël et à la diaspora. S’il est vrai que nous sommes le même peuple, il est vrai aussi que l’avenir d’Israël se joue, d’une certaine manière, dans chaque communauté juive. Sommes-nous déjà dans l’ère post-sioniste, ou bien, tout au contraire, un nouveau sionisme, celui de la maturité, est-il en train de poindre ? Et cela au prix de quels schismes, de quelles catastrophes de séparation ?

Le schéma classique de nos trois critères d’indentification, par le Peuple, par la Terre, par la Torah, restera toujours la base du débat profond. Or, jusque-là, l’interrogation dans tous les milieux se formulait à peu près de la manière suivante : lequel de ces trois ensembles doit englober les deux autres : lequel est censé définir de façon sine qua non la collectivité réelle, les deux autres devant être réservées à l’option individuelle ?

Aujourd’hui, il me semble que l’équation doit être renouvelée. Lequel de ces trois combats est-il le plus urgent, lequel est le combat actuel pour la survie des trois ? Je dirai clairement l’option de ma sensibilité politique. Mais avant cela, je voudrai indiquer que je comprends la cohérence, sinon la légitimité actuelle, d’autres options. Le vrai problème n’est pas de savoir qui aurait raison dans l’absolu : ceux qui privilégient le Peuple, ceux de la Torah ou ceux de la Terre à tout prix ; le vrai problème est à mon sens : maintenant, aujourd’hui, quel est le combat qu’il serait insensé de perdre ?

Depuis deux mille ans, nous avons été occupés à survivre comme peuple et à préserver la connaissance et la pratique de la Torah. Je ne sais si l’héroïsme de ces deux combats a été suffisamment raconté. Mais il est clair qu’ils ont été gagnés. A quel prix de souffrances, d’humiliations, de dilution et parfois même de dénaturation d’identité – avec aussi de grands moments de véritable surhaussement – chacun d’entre nous se raconte cette histoire à sa manière. Mais nous sommes arrivés au bout de cette longue marche, existant comme peuple et porteurs de notre patrimoine. Ces deux combats doivent être poursuivis. L’antisémitisme n’a pas disparu et la Torah ne s’acquiert pas une fois pour toutes. Ces deux luttes gardent toute leur nécessité, mais nous savons que nous les avons gagnées.

Pendant ce temps immense de deux mille ans, nous étions coupés de notre terre. C’est aujourd’hui que ce combat est actuel, et j’espère avoir suffisamment indiqué que l’enjeu, à mon sens, n’est pas uniquement une question d’étendue de territoires et de souveraineté. L’enjeu en est le devenir même de notre identité.

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[1] C’est ainsi que la Bible (Gen.XL, 15) nomme le pays conquis par les Cananéens au temps des Patriarches, et que les Romains avaient nommé Palestine.
[2] Interview donnée au journal La Croix du 29 décembre 1993;
[3] Gen. XXI, 10.
[4] Tel est bien le titre donné en allemand par Herzl à son livre : Der Judenstaat, l’Etat des juifs, et non Der Judische Staat, l’Etat juif.

mardi 8 juillet 2008

Pour la « réhébraïsation » du Peuple Juif par Manitou

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Pour la « réhébraïsation » du Peuple Juif

Par Manitou, le Rav Yehouda Léon Ashkénazi, Zatsal

Article publié dans le Monde séfarade, no 3, mai juin 1982, pp. 27-29


Dès que l’on parle d’identité juive, il faut préciser que tant l’ashkénaze que la séfarade sont deux identités constituées – et secondarisées même, dans le cas de la judaïcité séfarade – dans l’exil. Il est évident que les problèmes posés par la rencontre entre ces deux grandes bifurcations de l’exil des tribus d’Israël sont différents de nature si on les situe en diaspora ou en Israël. En diaspora, le problème est celui de la perpétuation de l’identité juive, c'est-à-dire celui de la relation au judaïsme, dans les trois dimensions définies par Albert Memmi[1]. Le Retour en Eretz Israël sollicite et exige une « réhébraïsation » de l’être juif. Par conséquent, le problème de la rencontre ainsi que l’avenir de ces identités « d’origine juive » se pose de manière différente. En Galout, il est de caractère artificiel ; en Israël, il est sociopolitique.

A la nation hébraïque, détruite il y a deux mille ans par Rome, a succédé le peuple dispersé au sein des autres nations. Dès lors, et déjà à la destruction du premier Temple, la dispersion juive se connaît comme provisoire, dans une stratégie de survie. Elle a duré si longtemps que les Juifs ont fini par croire qu’elle existait en soi, alors que ce n’était qu’une donnée conjoncturelle entre deux temps hébraïques.

Aujourd’hui, en effet, la nation hébraïque est restituée, dans le principe, par la réussite du mouvement sioniste dans son objectif sociopolitique, l’Etat juif, c'est-à-dire Israël. De même qu’il y a deux mille ans, l’exil avait transformé l’Hébreu en Juif, de même, de notre temps, le Juif se retransforme en Hébreu en remontant sur la Terre d’Israël.

Pour comprendre ce processus, et l’influence qu’il aura sur les trois dimensions de l’existence juive définie auparavant, il faut prendre du recul et faire un « flash back » sur notre histoire.

Ce sont les deux dispersions qui ont décidé de la différence d’identité ashkénaze-séfarade. La destruction du premier Temple a donné lieu à la diaspora de Babel. Une infime partie des judéens est revenue avec Ezra et Néhémie fonder le deuxième royaume de Judée. Les communautés de Spire, de Mayence et Worms en particulier, ayant connu l’avènement de Shivat Tsion[2] à cette époque et l’ayant refusé, sont à l’origine du judaïsme ashkénaze installé en territoire germanique (lotharingien). Dans le même temps se créaient les communautés yéménites, une partie de celles d’Afrique du Nord – celle de Djerba par exemple, étant connue pour avoir été constituée par les exilés du premier Temple.

Le second exil, celui d’Edom-Rome, sera constitué en grande partie par les judaïcités dites séfarades. Parallèlement se dessine un second schéma : celui de la division de l’Ancien Monde en deux grands ensembles, plus ou moins autarciques : l’empire de la chrétienté au Nord de la Méditerranée, et la terre d’islam au Sud.

Or tous les Juifs, du premier ou du second exil, qui se situaient dans l’empire chrétien ont finalement été marqués par l’empreinte la plus influente, la plus originelle, l’ashkénaze – mot hébreu par lequel les Juifs ont désigné l’aire culturelle germanique dans laquelle ils étaient arrivés. C’est pourquoi des judaïcités aussi différentes que l’allemande, la polonaise ou la russe sont de type ashkénaze. De même, dans le Dar-es-salam, toutes les communautés, quelle que soit leur origine, ont reçu l’influence de la communauté séfarade, dominante dans le monde islamique. L’identité séfarade – mot hébreu désignant l’aire culturelle espagnole –s’est constituée dans la symbiose judéo-musulmane, et ce n’est qu’après la reconquête par le royaume chrétien de l’Andalousie et du reste de l’Espagne que cela a été « traduit en espagnol ».

En diaspora, le Juif ashkénaze tend à chercher son propre avenir, solidaire ou non d’Israël, dans l’aire géographique et culturelle qui lui est propre. Il s’agit de s’adapter à une histoire qui s’est poursuivie de façon primaire, non secondarisée. Par contre, les évènements qui commencent à la Première Guerre mondiale et qui trouvent leur paroxysme dans la décolonisation des empires européens et le conflit israélo-arabe ont mis fin à la diaspora séfarade dans les pays de l’exil.





Aujourd’hui, dans les pays d’islam, lieu d’origine du « sépharadisme », les conditions de survie des communautés juives ne sont plus réunies, ni à moyen ni à long terme. On peut en noter quelques phénomènes au Maroc – dans une grande illusion caractérisant bien l’optimisme juif, espérance d’une reconduction de l’identité juive marocaine sur son territoire d’origine -, en Turquie et en Iran. Cette survie y prend déjà des allures beaucoup plus accusées de marranisme et d’existence dans la clandestinité plus ou moins avouées. En diaspora, l’identité séfarade a été secondarisée. En effet, dès le contact des communautés séfarades avec la culture occidentale, on assiste à un phénomène généralisé d’option pour la culture occidentale ; le processus a d’ailleurs été cristallisé dans les pays du Bassin méditerranéen par l’Alliance israélite universelle fondée par les Juifs ashkénazes pour aider les communautés séfarades des pays d’islam à entrer dans la civilisation moderne. Mais que cela soit conscient ou non, voulu ou non, cela contribue à les « déséfaradiser » sur le plan de leur judéité. Ainsi se sont perdus identité et minhaguim (rites, traditions) ainsi que la langue – car le judéo-arabe et le ladino étaient des langues juives organiques de même que le yiddish, au temps d’exil. Cependant, c’est l’option géographique essentiellement qui détermine le phénomène : les Sefardim « choisissent avec leurs pieds » de vivre dans les pays de l’aire ashkénaze. Or, dans les pays de chrétienté, la permanence de l’identité séfarade revêt un caractère artificiel qui la met en danger de disparition ou de réduction à l’état de folklore, qu’il s’agisse du stockage des richesses du passé dans des musées, ou de la création de chaires spécialisées dans les universités, avec pour objet principal de faire des travaux de recherche sur le passé médiéval de cette culture séfarade, dans ses styles judéo-espagnol, judéo-arabe ou judéo-provençal. Il y a là un stockage des richesses du passé beaucoup plus qu’une prise de conscience d’une existence à l’indice du présent, en vue d’un avenir concret. Il suffit de se référer à ce qui est arrivé aux judaïcités séfarades du Moyen Age, expulsées d’Espagne ou du Portugal, et qui se sont retrouvées à l’état de survivance dans des aires géographiques ashkénazes comme la Hollande ou l’Angleterre ou l’Amérique (communautés hispano-portugaise). Il s’agit d’un phénomène de survie qui a eu ses temps de grandeur et de haute culture suivant les occurrences de la civilisation extérieure, mais qui s’est figé. Il n’y a d’autre territoire homogène à l’identité séfarade que les pays d’islam. Partout ailleurs, la judéité séfarade, reportée sur d’autres territoires et paysages culturels, se manifeste à l’état de survie.

La relation à l’idée de l’Etat juif s’est faite naturellement – chez les Juifs séfarades – exilés du deuxième Temple, descendants des Judéens « sionistes » du temps d’Ezra et de Néhémie – alors que la tradition ashkénaze était la reconduction d’une tradition juive de l’exil du Premier Temple. Celle-ci avait refusé la notion de l’Etat juif réclamée déjà lors du retour à Sion et attendait le Messie de la fin des temps, celui de la résurrection des morts et du temps de la transfiguration du monde. Mais elle gommait littéralement la première phase messianique – la phase nationale – connue par la tradition sous le nom de Messie, fils de Joseph, qui est celui du rassemblement des exilés pour la fondation d’un Etat juif, avant même le temps du Messie, fils de David, et devant le préparer. La réaction du monde ashkénaze au fait sioniste est passée par un clivage d’ordre idéologique, politique, alors que celle du monde séfarade était, elle, originellement naturelle. Dans la génération contemporaine de l’apparition de l’Etat d’Israël, le rabbinat séfarade dans son ensemble a adopté le principe d’un Etat juif, alors que le rabbinat ashkénaze, dans sa majorité, l’a refusé. Seuls ceux qui se situaient dans le courant kabbaliste séfarade avaient compris l’importance du stade du messianisme politique et de la reconstitution de la nation hébraïque comme inauguration des temps messianiques.

On objectera bien sûr que le sionisme politique est né dans le monde ashkénaze. Mais, pour le rabbinat d’Europe, dans sa grande majorité, l’idée même d’Etat juif était blasphématoire, le sionisme ne pouvait se développer qu’en tant que mouvement laïc. Cette identification de l’Etat à la barbarie – propre aux Ashkénazim[3], dès les premiers jours du sionisme – n’a disparu qu’avec l’avènement de l’Etat moderne, pensable sur un projet de moralité – Liberté, Egalité, Fraternité – plutôt que de jouissance.

Il est important de préciser que l’affrontement des communautés n’est qu’une des tensions parmi un faisceau de trois données qui se complètent et s’interprètent. C’est un problème à souligner d’autant plus que tous les Sefardim[4] ne sont pas unanimement en accord par rapport à la Torah d’Eretz Israël, pas plus que les Ashkénazim, d’ailleurs, mais de façon différente.

Aussi, sur l’écran de nos problèmes actuels apparaissent trois grands axes sur lesquels l’identité juive est simultanément en risque d’éclatement car la « réhébraïsation » ne peut se faire qu’à la condition de l’harmonisation de ces trois notions : la Torah, le Peuple, la Terre.

Sur le plan de la Torah, il faut noter une évolution dans la génération contemporaine. Les rabbins séfarades qui ont été formés dans des yeshivot ashkénazes optent le plus souvent, selon l’enseignement de leurs maîtres, pour une position antisioniste contre nature par rapport à leur origine séfarade. Inversement, les rabbins ashkénazes étudiant la Kabbale avec des maîtres séfarades ou hassidim[5], constituent, du côté ashkénaze, le rabbinat sioniste au sens propre. Le judaïsme refusé par les non religieux, se heurte dans les milieux religieux à des problèmes de vie pratique qui différencient Sefardim et Ashkénazim. Comment étudier, prier, chanter, comment manger kasher ? On n’enseigne pas la guemara de la même façon à un Ashkénaze qu’à un Séfarade, les deux sidourim[6] sont organisés de manière différente selon les rites, les règles de kashrout sont également spécifiques pour chaque communauté. Quand on connaît l’importance de l’enseignement traditionnel pour la perpétuation du judaïsme, on peut poser une question : le jeune Séfarade auquel on a enseigné à prier et à étudier selon le rite ashkénaze, est-il capable d’enseigner autre chose à ses enfants ? Or il manque en Israël un mouvement de jeunesse qui ne s’appellerait pas forcément mouvement séfarade, mais mouvement de rite séfarade. Il manque par exemple des écoles de professeurs où l’enseignement de l’histoire du peuple juif n’oblitérerait pas (ou ne rabaisserait pas au niveau de folklore) la judéité séfarade.

L’axe du peuple d’Israël rejoint le schéma sociopolitique. La fraction du peuple participant à la vie politique israélienne tente de se définir et de s’identifier à un parti qui défende ses origines propres. Ainsi l’Agoudat Israël[7] est composé en majorité d’Ashkénazim. On aurait pu espérer une harmonie dans le cadre du Parti National Religieux. C’était une illusion, et l’attitude du parti Tami, leader du « sépharadisme » semble fortement marquée par un ressentiment minoritaire.

Il s’agit en Israël, de résoudre des problèmes de société concrets, réels, et de participer en tant que séfarades à la réhébraïsation du peuple juif. Un des indices de ce premier problème est qu’aucune organisation juive ashkénaze ne s’intitule ashkénaze, alors que les Juifs séfarades sont contraints d’ajouter au terme « identité juive » l’adjectif séfarade. Il en résulte une asymétrie, un décalage, qui dévoile bien le côté artificiel auquel nous faisions allusion auparavant. En effet, dans les pays d’islam, séfarade signifie juif, mais les Sefardim transplantés en pays de la chrétienté doivent eux-mêmes ajouter l’adjectif séfarade, comme si être séfarade ne signifiait plus être juif. De substantif, séfarade est devenu adjectif. Ce phénomène se retrouve de la même façon dans les organisations séfarades en Israël même. La normalisation de cette judéité face à la judéité venue de la culture occidentale ne pourra s’effectuer que lorsque les Sefardim arriveront à évacuer l’adjectif « séfarade » de l’intitulé de leurs institutions. Pour cela, il faut qu’à l’image des Ashkénazim, les sefardim réussissent à créer l’Israélien fier et d’origine orientale. Notre avenir est d’être hébreu. Pour formuler un judaïsme séfarade hébraïque, il faut donc légitimer le « sépharadisme ».

La terre d’Israël, également, est l’objet de tensions, quant au principe même. Le problème est compliqué par le fait que la diaspora continue dans sa rémanence – permanence de l’identité juive en relation de solidarité et d’identité par rapport à l’Etat juif.

Relation extrêmement complexe au niveau individuel mais appartenant au niveau collectif à une sorte de préhistoire. Car la diaspora se dit être la diaspora de l’Etat d’Israël. En réalité, comme telle, elle est la permanence de la diaspora des Judéens du deuxième Temple détruit par Rome, mais contemporaine déjà du troisième Etat d’Israël et plus ou moins solidaires. La diaspora se pose encore des problèmes de sionisme alors que l’Etat d’Israël a trente quatre ans ! La seule diaspora de l’Etat d’Israël ce sont les « sionistes » professionnels et les Yordim[8].

Il faut prendre conscience du fait que s’est produite dans l’histoire du peuple juif en général, depuis l’apparition de la société israélienne, une véritable mutation d’identité – la période juive tend à s’effacer pour laisser place au temps hébreu, et une autre typologie se fait jour. En effet, la perception de la relation au monde extérieur s’est cristallisée à travers l’exil de façon différente en monde ashkénaze où l’environnement était chrétien – le chrétien étant ce non-juif qui se réclame de l’identité d’Israël – et en monde séfarade, où l’environnement était le monde islamique représenté par Ismaël, second fils d’Abraham. Il en résulte une perception différente. Angoisse et remise en question perpétuelle sont le lot du Juif ashkénaze – ce qui se traduit par des productions littéraires de type kafkaïen – confronté à ce problème d’identité profonde : « Qui est Israël ? Le chrétien ou le Juif ? Edom-Rome ou Jacob-le peuple juif ? », que n’a pas connu le monde séfarade originel situé en terre d’Islam. Là s’est cristallisé un conflit autre, de nature nationale – à qui appartient la terre d’Abraham ? – et non pas de rivalité religieuse.

De notre temps, ces deux tendances juives se rencontrent et chacune aide l’autre dans son conflit propre. C’est la force du Sionisme politique venu du monde ashkénaze qui aide les Sefardim à reconquérir sur Ismaël la terre d’Abraham et c’est la tradition juive profonde ramenée de l’exil du deuxième Temple (la Kabbale) qui aide les Ashkénazim à triompher de la rivalité avec la théologie chrétienne.

Feu Eliahou Elyashar comparait les judaïcités séfarade et ashkénaze à deux piliers soutenant le même édifice : Israël. Il est urgent de consolider le plus faible, sinon l’édifice entier est en danger. Il s’agit donc de réhabiliter l’être culturel séfarade dans ce but. Il est évident que la remise au jour des folklores particuliers de ces deux types juifs caducs de l’exil est importante pour la recherche du patrimoine juif et israélien comme tremplin pour l’avenir, mais si elle se fait sur l’écran de la réhébraïsation de l’identité, ce ne sont pas des reconductions du passé, des archaïsmes. Mais dans la mesure où la base de réhébraïsation existe, c’est un enrichissement pour l’avenir.

[1] La judaïcité est l’ensemble des personnes juives, et, au sens large, la totalité des juifs à travers le monde, par exemple : la judaïcité française.
Le judaïsme est l’ensemble des valeurs, doctrines et institutions des juifs, l’organisation qui règlement la vie du groupe, ou encore, la culture au sens large.
La judéité est le fait d’être juif ; l’ensemble des caractéristiques vécues et objectives, sociologiques, philosophiques et biologiques qui font un juif : la manière dont un Juif vit, à la fois son appartenance à la judaïcité et son insertion dans le monde non-juif.
[2] Expression hébraïque désignant les premiers mouvements de « retour à Sion ».
[3] Forme hébraïque désignant les Juifs ashkénazes.
[4] Forme hébraïque désignant les Juifs séfarades.
[5] Forme hébraïque désignant les Juifs de tradition hassidique.
[6] Mot hébreu désignant les rituels de prières.
[7] Parti politique israélien religieux non sioniste.
[8] Mot hébreu désignant les Israéliens installés à l’étranger.