בס"ד
Le gardien de ses frères
Par Méïr Ben-Hayoun
Le gardien de ses frères
Par Méïr Ben-Hayoun
Article publié en Novembre 2007 sur le site d'Aroutz7 en français.
Cette année, nous commémorons les 40 ans de la Guerre des Six Jours et nous fêtons la Réunification de Jérusalem. Ce méga bouleversement, au regard de l’Histoire hébraïque et universelle, 2000 ans après la destruction du Second Temple de Jérusalem, engendra tout un faisceau de réactions en chaîne au sein et en dehors du Peuple juif. Le début d’une vague d’Alyah des pays occidentaux et de France est l’un de ces aspects. L’histoire de la lutte des Juifs d’URSS en est un autre. C’est à cette lutte héroïque des Juifs de l’autre côté du rideau de fer que le Musée de la Diaspora à Ramat-Aviv (Bet Hatfoutsot) consacre sa nouvelle exposition.
Le problème du judaïsme soviétique était d’actualité depuis la Révolution bolchevique d’octobre 1917. Trois millions de Juifs, en butte à un implacable appareil d’oppression, se voyaient interdire toute forme d'expression de vie juive et étaient contraints de s’assimiler. Maintenus captifs, ils ne pouvaient monter en Israël ou émigrer ailleurs. Du temps de Staline, ils avaient risqué l’extermination physique et étaient bien avancés dans le processus de disparition identitaire.
Une génération après la Shoah, alors que cette tragédie se passait sous ses yeux, le monde juif observait silencieux, réservé. Certes, des efforts étaient déployés mais minorés, convenables, en coulisses, sans faire trop de vagues. Les institutions juives aux Etats-Unis et ailleurs comme le Bnei Brith ou le Congrès Juif Américain (équivalent du CRIF) envoyaient des communiqués de protestation retenue qui passaient inaperçus. Comble de l’ironie tragique et symptôme d’une folie juive qui fait des ravages jusqu’à nos jours, de nombreux Juifs dans le monde, dont des intellectuels de renom, adhéraient au communisme et à toute forme de marxisme ou d’idéologie prolétarienne à l’origine de la terrible oppression de leurs frères d’Europe de l’Est. Certains d’entre eux aujourd’hui sont présentés comme des tribuns de la cause juive. Par exemple, Alexandre Adler, ex-membre du PCF prosoviétique, « repenti » depuis et qui, sur Radio Communauté Juive, expose ses élucubrations fantaisistes sur l’histoire biblique et juive.
Aucune action juive d’ampleur ou tapageuse pour les Juifs d’URSS ne fut donc réellement initiée jusqu’à la fin des années 60.
L’exposition du Musée de la Diaspora occulte de façon regrettable la personnalité qui déclencha en Occident la lutte âpre pour les frères juifs d’URSS et l’imposa à l’ordre du jour juif et mondial. Ce personnage est toujours le plus controversé de la scène publique juive et israélienne, bien que 17 années nous séparent de sa disparition tragique. Prononcer son nom provoque toujours toute une palette de réactions extrêmes dont l’objectivité et la sérénité sont irrémédiablement absentes.
Brisant ce silence déshonorant le Peuple juif, à New York apparut en trombe ce jeune érudit, un Cohen. Ordonné rabbin à la Yeshiva Mir de Brooklyn, militant sioniste ex-membre du Bétar et des Bnei-Akiva, son nom allait devenir célèbre d’un bout à l’autre des Etats-Unis et ensuite de la planète toute entière. On était, ou pour, ou contre le Rabbin Méïr David Kahana, Hy’d*, jamais neutre. Sa Ligue de Défense Juive (JDL: Jewish Defense League) avait déjà fait parler d’elle dans le cadre de l’autodéfense des juifs de condition modeste, victimes de violences antisémites ou de violence tout court, dans les quartiers difficiles des grandes métropoles américaines.
L’après-midi du 29 décembre 1969, quatre équipes de la Ligue de Défense Juive frappèrent simultanément à New York. La première équipe s’introduisit et occupa les bureaux de l’Agence Tass (agence gouvernementale soviétique de presse, équivalente russe de l’AFP), la deuxième dans les bureaux d’Intourist (agence soviétique de tourisme), la troisième à l’Aeroflot (compagnie aérienne soviétique). La quatrième équipe fit irruption dans un jet russe atterrissant sur une des pistes de l’aéroport Kennedy. Les stewards et hôtesses de l’air, livides, regardaient avec effroi ces jeunes Juifs venus de nulle part faire du grabuge et taguer des slogans sionistes sur le fuselage de l’avion : « Let my people go », « Am Israël Haï ».
En une demi journée, le problème juif soviétique bénéficia de plus de couverture médiatique qu’un demi siècle de communiqués prudents et respectables par l’establishment juif timoré.
Ces militants juifs d’une nouvelle espèce et leur infatigable jeune rabbin orthodoxe aux méthodes peu orthodoxes ne se reposèrent pas un instant. Après leur arrestation et à peine sortis du poste de police, ils remettaient cela. Leurs protestations allèrent crescendo. Ils rendirent la vie impossible aux diplomates soviétiques en poste à New York et à Washington créant une chaîne d’incidents diplomatiques compromettant les relations encore fragiles entre Washington et Moscou.
Cette année, nous commémorons les 40 ans de la Guerre des Six Jours et nous fêtons la Réunification de Jérusalem. Ce méga bouleversement, au regard de l’Histoire hébraïque et universelle, 2000 ans après la destruction du Second Temple de Jérusalem, engendra tout un faisceau de réactions en chaîne au sein et en dehors du Peuple juif. Le début d’une vague d’Alyah des pays occidentaux et de France est l’un de ces aspects. L’histoire de la lutte des Juifs d’URSS en est un autre. C’est à cette lutte héroïque des Juifs de l’autre côté du rideau de fer que le Musée de la Diaspora à Ramat-Aviv (Bet Hatfoutsot) consacre sa nouvelle exposition.
Le problème du judaïsme soviétique était d’actualité depuis la Révolution bolchevique d’octobre 1917. Trois millions de Juifs, en butte à un implacable appareil d’oppression, se voyaient interdire toute forme d'expression de vie juive et étaient contraints de s’assimiler. Maintenus captifs, ils ne pouvaient monter en Israël ou émigrer ailleurs. Du temps de Staline, ils avaient risqué l’extermination physique et étaient bien avancés dans le processus de disparition identitaire.
Une génération après la Shoah, alors que cette tragédie se passait sous ses yeux, le monde juif observait silencieux, réservé. Certes, des efforts étaient déployés mais minorés, convenables, en coulisses, sans faire trop de vagues. Les institutions juives aux Etats-Unis et ailleurs comme le Bnei Brith ou le Congrès Juif Américain (équivalent du CRIF) envoyaient des communiqués de protestation retenue qui passaient inaperçus. Comble de l’ironie tragique et symptôme d’une folie juive qui fait des ravages jusqu’à nos jours, de nombreux Juifs dans le monde, dont des intellectuels de renom, adhéraient au communisme et à toute forme de marxisme ou d’idéologie prolétarienne à l’origine de la terrible oppression de leurs frères d’Europe de l’Est. Certains d’entre eux aujourd’hui sont présentés comme des tribuns de la cause juive. Par exemple, Alexandre Adler, ex-membre du PCF prosoviétique, « repenti » depuis et qui, sur Radio Communauté Juive, expose ses élucubrations fantaisistes sur l’histoire biblique et juive.
Aucune action juive d’ampleur ou tapageuse pour les Juifs d’URSS ne fut donc réellement initiée jusqu’à la fin des années 60.
L’exposition du Musée de la Diaspora occulte de façon regrettable la personnalité qui déclencha en Occident la lutte âpre pour les frères juifs d’URSS et l’imposa à l’ordre du jour juif et mondial. Ce personnage est toujours le plus controversé de la scène publique juive et israélienne, bien que 17 années nous séparent de sa disparition tragique. Prononcer son nom provoque toujours toute une palette de réactions extrêmes dont l’objectivité et la sérénité sont irrémédiablement absentes.
Brisant ce silence déshonorant le Peuple juif, à New York apparut en trombe ce jeune érudit, un Cohen. Ordonné rabbin à la Yeshiva Mir de Brooklyn, militant sioniste ex-membre du Bétar et des Bnei-Akiva, son nom allait devenir célèbre d’un bout à l’autre des Etats-Unis et ensuite de la planète toute entière. On était, ou pour, ou contre le Rabbin Méïr David Kahana, Hy’d*, jamais neutre. Sa Ligue de Défense Juive (JDL: Jewish Defense League) avait déjà fait parler d’elle dans le cadre de l’autodéfense des juifs de condition modeste, victimes de violences antisémites ou de violence tout court, dans les quartiers difficiles des grandes métropoles américaines.
L’après-midi du 29 décembre 1969, quatre équipes de la Ligue de Défense Juive frappèrent simultanément à New York. La première équipe s’introduisit et occupa les bureaux de l’Agence Tass (agence gouvernementale soviétique de presse, équivalente russe de l’AFP), la deuxième dans les bureaux d’Intourist (agence soviétique de tourisme), la troisième à l’Aeroflot (compagnie aérienne soviétique). La quatrième équipe fit irruption dans un jet russe atterrissant sur une des pistes de l’aéroport Kennedy. Les stewards et hôtesses de l’air, livides, regardaient avec effroi ces jeunes Juifs venus de nulle part faire du grabuge et taguer des slogans sionistes sur le fuselage de l’avion : « Let my people go », « Am Israël Haï ».
En une demi journée, le problème juif soviétique bénéficia de plus de couverture médiatique qu’un demi siècle de communiqués prudents et respectables par l’establishment juif timoré.
Ces militants juifs d’une nouvelle espèce et leur infatigable jeune rabbin orthodoxe aux méthodes peu orthodoxes ne se reposèrent pas un instant. Après leur arrestation et à peine sortis du poste de police, ils remettaient cela. Leurs protestations allèrent crescendo. Ils rendirent la vie impossible aux diplomates soviétiques en poste à New York et à Washington créant une chaîne d’incidents diplomatiques compromettant les relations encore fragiles entre Washington et Moscou.
Pétrifiés par le cataclysme nucléaire qu’ils avaient failli engendrer lors de la crise de la Baie des Cochons en 1962, le président J. F. Kennedy et le Premier Secrétaire soviétique Nikita Khrouchtchev avaient engagé leurs nations dans la « Détente », pierre angulaire de leur politique étrangère commune. Cela ne signifiait pas pour autant la cessation de la rivalité entre les deux super puissances. La course aux armements se poursuivait de plus belle. La confrontation est-ouest fut transférée par belligérants interposés au Vietnam et au Moyen Orient. L’Union Soviétique opprimait toujours les Juifs et les maintenait captifs. La Détente revêtait une importance primordiale pour l’URSS. Elle lui permettait de s’ouvrir à des débouchés économiques vers les Etats-Unis et vers l'Occident, ce qui voulait dire une bouffée d’oxygène sous la forme de dollars indispensables à son économie essoufflée. D’autre part, cela l’autorisait à dégarnir son dispositif militaire face à l’OTAN au profit du front d'Extrême-Orient, face à son ennemi implacable, la République Populaire de Chine. Le Rabbin Méïr Kahana avait saisi cela. Il avait compris que pour les Soviétiques, la Détente revêtait une importance primordiale. Il décida donc de contraindre le Kremlin à payer comptant pour cette Détente par la libération des Juifs russes. C’était le raisonnement derrière la stratégie politique de violence de la Ligue de Défense Juive à laquelle les dirigeants de l’establishment juif myopes et engoncés dans leur égoïsme étriqué, étaient imperméables.
La Ligue de Défense Juive s’ingénia à perturber les représentations artistiques soviétiques destinées à détendre l’atmosphère dans le cadre du Programme d’échanges culturels. En faisant le siège devant la délégation soviétique à l’ONU à Manhattan, en forçant les barrages de police la protégeant, en harcelant et en agressant les diplomates russes, les cieux des relations américano-soviétiques se couvraient de nuages menaçants. Bien que la Détente leur était primordiale, les Soviétiques ne pouvaient passer outre leur prestige national bafoué. Après chaque coup d’éclat de la Ligue, ils se précipitaient comme des hystériques dans les coulisses diplomatiques pour exiger des explications. Les officiels américains confus ne savaient plus comment s’excuser et les assurer qu’ils faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour faire cesser ces provocations. Les dirigeants de l’establishment juif s’arrachaient les cheveux devant ces troublions de la Ligue qui leur ruinaient des décennies d’efforts à acquérir la respectabilité. Redoutant la réaction du "Goy" face aux Juifs « encombrants » de la Ligue, ils faisaient de la surenchère pour condamner l’action du Rabbin Kahana.
Le 15 juin 1970, le KGB, de sinistre mémoire, initia une vague d’arrestations d’activistes sionistes dans toute l'URSS. Douze Juifs furent accusés d’avoir comploté le détournement d’un avion suédois à l’aéroport de Leningrad. Leur procès devait s’ouvrir au mois de juillet. La Ligue entreprit toute une série d’actions encore plus audacieuses que les précédentes. Une grande marche de 160 kilomètres partant de l’Independance Hall à Philadelphie et devant se terminer face à la Maison Blanche. Ce fut un succès sans précédent. Des dizaines de milliers de Juifs, toutes tendances confondues, venus de tous les coins des Etats-Unis pour lutter pour leurs frères d’Union Soviétique. Mille cinq cent Juifs dont le Rabbin Kahana, menottes aux mains, furent arrêtés. Même le dernier des paysans de l’Amérique profonde au fin fond de l’Iowa avait entendu parler des Juifs d’URSS, des tumultueux militants juifs, d’un rabbin s’appelant Kahana et du procès de Leningrad.
New York, le 25 novembre 1970 à 3h20 du matin, une bombe explosa à l’entrée de l’Aeroflot et une autre devant Intourist ne faisant aucune victime. Peu après, des appels anonymes parvinrent aux médias : « Le monde entier doit savoir que tant que des Juifs seront injustement enfermés et traduits devant les tribunaux en Union Soviétique, l’URSS elle aussi sera traînée en justice », se terminant par : « Never again ». Le Rabbin Kahana démentit tout lien avec les poseurs de bombes, mais félicita leur initiative.
Les condamnations du leadership juif envers la Ligue prirent une tournure d’une virulence jamais égalée auparavant, même envers les pires ennemis du peuple juif. Eliezer Lipsky du Congrès Juif Américain déclara au New York Times: « la violence de la Ligue de Défense Juive fait le jeu des propagandistes russes et dessert la cause de trois millions de Juifs soviétiques, victimes d’une régime répressif ne les autorisant pas à vivre librement et leur interdisant d’émigrer en Israël. » Est-ce que Mr Lipsky aurait eu l’occasion de s'exprimer en première page du New York Times sur les Juifs russes « victimes d’une régime répressif », si la Ligue n'avait pas suscité l'intérêt des médias à ce problème par sa violence? En prenant position contre les méthodes de la Ligue, à leur insu, les dirigeants juifs se mobilisaient et prenaient position publiquement à la une des journaux sur le problème juif soviétique, ce qu’ils n’avaient jamais pu faire auparavant avec leurs communiqués publiés en lettres minuscules et en dernières pages. Ils étaient trop sots pour le comprendre. Paradoxalement, des éditoriaux de la presse non juive, sans pour autant féliciter la Ligue, furent plus compréhensifs en conseillant aux soviétiques de « cesser d’opprimer les Juifs russes ».
Le 25 décembre 1970, le tribunal spécial de Leningrad rendit ses verdicts devant les caméras de télévision. Dix juifs furent condamnés à des peines de prison allant de quatre à quinze ans fermes. Marc Dimchitz et Edouard Kuznetzov furent condamnés à la peine capitale. Tout le monde se tourna vers la Ligue : « qu’allez-vous faire ? » Personne ne s’adressa à une quelconque organisation ou institution juive plus « représentative » parce qu’il était admis en cette heure de vérité qu’elles étaient toutes insignifiantes et impuissantes. « Deux Russes pour un Juif » fut la réponse de la Ligue, communiquée aux agences de presse et diffusée dans le monde entier. La Ligue n'avait plus qu'à convaincre le gouvernement russe que sa menace d’exécuter deux diplomates soviétiques aux Etats-Unis pour chaque Juif assassiné par les tribunaux russes ne resterait pas lettre morte. Elle dissipa toute ombre de doute quant à ses intentions en faisant le siège violent de la délégation soviétique à l’ONU et par des manifestations houleuses jour et nuit. Le 27 décembre suivant, au Hunter College de Brooklyn, une foule de jeunes Juifs faisait vibrer les murs de l’auditorium en scandant « Deux Russes pour un Juif ». Le silence ne fut rétabli que lorsque le Rabbin Kahana prit la parole : « Trois millions de nos frères juifs soviétiques nous sont arrachés. Il est de notre devoir d’enfreindre la loi pour les sauver. Nous autres Juifs, nous avons un complexe, le complexe de la « respectabilité ». Quand le président Roosevelt disait qu’il était impossible de bombarder les voies de chemin de fer menant à Auschwitz, nous voulions être « respectables » et nous avons été « respectables ». Résultat : six millions de Juifs ont été réduits en cendre ! Il est temps d’enterrer la respectabilité avant qu’elle ne nous enterre à tous ! »
Le 28 décembre, la bonne nouvelle se propagea dans une liesse non dissimulée. Les peines de mort avaient été commuées en peine d'emprisonnement. L’Empire du mal soviétique avait plié. La concrétisation des menaces de la Ligue aurait entraîné la fin de la Détente, par effet de domino la fin du rapprochement américano-soviétique, le retour à la guerre froide avec ses risques de déflagrations nucléaires. Cela ne valait pas la peine de s’entêter à appliquer la peine capitale pour deux activistes juifs russes.
Cette réussite doit être gravée à tout jamais dans les esprits de tous les lâches et critiqueurs, ceux qui conspuaient les « extrémistes » juifs, et surtout chez ces merveilleux Juifs et Juives anonymes qui dans ce froid glacial du mois de décembre new-yorkais ont manifesté sans interruption jour et nuit pour ne pas renoncer au droit et au devoir moral de protester avec véhémence pour leurs frères et sœurs d’Union Soviétique.
Ce qui déçut amèrement le Rabbin Méïr Kahana plus que le reste, fut l’accueil réservé pour ne pas dire glacial que reçut son activisme dans les milieux ultra-orthodoxes, d’où il était lui-même issue. De leur part, des gens de la Torah et des mitsvot, il s’attendait à plus de solidarité et de chaleur envers les Juifs opprimés. Les rabbins critiquaient l’activité de la Ligue avec autant de dureté que ne le faisait l’establishment juif. Les doyens des yeshivot avaient déploré son action en ces termes : « toute action provocatrice et arrogante peut causer du tord à un grand nombre de Juifs ». Habad, dernier grand mouvement hassidique présent en URSS jusqu’en 1927, y maintenait encore un réseau d’émissaires infiltrés clandestinement pour maintenir la flamme juive dans les cœurs et dans les âmes. Le sionisme et l’activisme politique des militants juifs russes défiant le totalitarisme soviétique aux vues et aux sus de tous n’étaient pas au goût de Habad. Le dernier Rabbi de Loubavitch, le Rabbin Menahem Mendel Schneerson ne manqua pas lui aussi d’épingler la Ligue. Le Rabbin Méïr Kahana le mentionne dans son livre « The story of the JDL » comme suit:
«[…..] On rapporta les propos suivants du Rabbi de Loubavitch: « Ces manifestations ont des implications tragiques sur les Juifs. J’ai des informations selon lesquelles des centaines, voir des milliers de personnes, ont été exilées consécutivement à cette série d’actions négatives venant de l’extérieur ».
Avec tout le respect dû à une personnalité comme le Rabbi, nous savions que ce n’était pas vrai, ni lui d’ailleurs. Pas une seule fois, malgré nos demandes répétées, il nous fut fourni le nom d’un seul Juif ayant souffert consécutivement aux activités de la Ligue pour le judaïsme soviétique[……]»
Dans le monde entier, les communautés juives se mobilisaient pour les Juifs soviétiques. En France, les jeunes militants juifs rivalisaient d’audace avec leurs frères d’Amérique. Le Bétar et le Front des Etudiants Juifs (FEJ) étaient les plus radicaux, mais les mouvements sionistes de gauche et autres ne voulaient rester en retrait et leur firent concurrence. Cette émulation fut des plus fructueuses. Avec le soutien à Israël, le combat pour les Juifs d’URSS devint le thème de ralliement de pratiquement tous les Juifs d'exil. Même certains Juifs assimilés n’en étaient pas insensibles. A cet effet, fut créé le Comité d’Action Pour les Juifs d’URSS. A cette époque, le marxisme et les idéologies d’extrême gauche étaient en plein essort dans l’Hexagone. Plus de vingt pour cent de l’électorat français étaient alors acquis à la Place du Colonel Fabien (siège parisien du parti communiste). Il y avait donc sur qui et sur quoi "se faire les dents" en perturbant les activités prosoviétiques en France. C’est ainsi que beaucoup de jeunes Juifs ont fait leurs premières armes et ont pris conscience juive et sioniste, en recevant parfois aussi des coups de matraque de la part des CRS lors de protestations pour les frères juifs d'URSS. Par exemple, lors de la visite officielle du Premier Secrétaire Leonid Brejnev (que son souvenir s’efface) à Paris en juin 1977. La préfecture avait autorisé une manifestation juive, puis s’était ravisée, probablement sous les directives de l’Elysée. Le Président de la République Giscard d’Estaing faisait des ronds de jambe à Moscou et à toute sorte de dictature obscure sur la terre, sauf à Israël. La police nationale était en état d’alerte maximale dans la capitale. La manifestation pour les Juifs d’URSS fut donc interdite. Les militants juifs l’entendirent autrement. La confrontation fut inévitable.
Cet activisme était le complément indispensable et la réalisation même de l’éducation juive. Plus que les jeunes Juifs des Etats Unis ou de France ont réalisé pour leurs frères d'URSS, ce sont en fait les Juifs soviétiques qui ont contribué aux jeunes Juifs d’Occident. Pas seulement parce les risques encourus par ces derniers étaient infimes par rapport aux déportations ad vitam æternam aux goulags ou autres affres du sadisme du régime soviétique. Par son activisme pour son frère de Russie, le jeune Juif d’Amérique ou de France parvenait à comprendre qui il était, qu’il était avant tout, contre tout et en dépit de tout, juif, et que les luttes de son peuple ou la détresse de ses frères, n’importe où sur la Terre, le concernaient en premier lieu. En luttant pour le droit à l’Alyah des Juifs russes, il prenait conscience de son identité de membre d'un peuple, le peuple juif - que l’Alyah le concernait au moins tout autant que le Juif d'URSS. Lutter pour permettre aux Juifs russes de faire l’Alyah, c’était ipso facto s’engager soi-même dans un processus qui ne pouvait le conduire qu'à l’Alyah, dans la mesure où il était sincère. En donnant des coups ou en en encaissant pour ses frères, le Juif revenait inéluctablement dans le giron de son Peuple. Le chemin du Retour, pour la Teshouva sous toutes ses formes s’ouvrait alors tout naturellement à lui. Le Retour à son Peuple, le Retour à sa Terre et le Retour à sa Tradition, dans cet ordre là, telle que la Torah en a décrit le processus dans le Livre de Chemot (Exode). Le Rabbin Kahana l’avait mieux compris que quiconque. Alors que les mouvements religieux ou les organisations sionistes s’évertuaient par toute sorte d’astuces à tenter de sensibiliser le Juif aux mitsvot, au judaïsme ou à Israël, le Rabbin Kahana avec infiniment moins de moyens ramena tout seul des dizaines de milliers de Juifs perdus à leur Peuple, en les faisant agir pour le frère en butte à l’antisémitisme ou à la tyrannie. Ce schéma de prise de conscience, d’engagement, comme l’expliquait le Rabbin Kahana, existait déjà dans la Torah. Moïse était un prince égyptien, un assimilé pour ainsi dire, profondément ému par l’état de détresse dans lequel se trouvaient ses frères hébreux. Parti à la rencontre de ses frères qu’il connaissait peu, apercevant un Egyptien persécutant l'un d'eux, Moïse frappa cet Egyptien à mort. C’est ainsi qu’il devint digne que Dieu se dévoila à lui, de devenir le libérateur de la servitude d'Egypte pour notre Peuple. Il devint ainsi apte à être notre Maître et le plus grand des prophètes d’Israël. En tuant l’Egyptien pour sauver son frère, Moïse redevint hébreu.
Le succès de la lutte pour les frères juifs d’URSS, fut la vague d’Alyah encore limitée d’Union Soviétique qui s’en suivit dès 1970. Le Kremlin plia. Mais la plus belle réussite fut l’Alyah des membres de la Ligue, l’Alyah des activistes juifs du monde entier. Et tous, Olim de Russie, de France, des Etats-Unis et d’ailleurs, nous nous sommes retrouvés ici, à Jérusalem, à Hébron, à Haifa, à Petah Tiqvah, à Tekoa, un peu partout en Israël, coude à coude dans Tsahal, puis comme voisins de paliers à échanger nos souvenirs.
Cette lutte des Juifs du monde entier fit chanceler la muraille inexpugnable de l’Empire soviétique. Le Juif russe déposant une demande d’Alyah, licencié de son travail, puis emprisonné pour activité sioniste, attendant ensuite des années au Goulag pour obtenir son visa de sortie - le militant juif américain de la Ligue arrêté par NYPD à New York alors qu’il avait forcé un barrage de police devant la mission diplomatique russe, le militant juif à Paris qui s’était enchaîné aux grilles de l’Aeroflot (lui aussi un Cohen) à l’Avenue des Champs-Élysées - en luttant pour le Peuple d’Israël, pour le Retour à la Terre d’Israël et pour la Tradition d’Israël, ces trois Juifs-là ont percé la première brèche dans le Rideau de fer. Ils ont probablement contribué à débarrasser l’humanité de l’hégémonie soviétique opprimant des dizaines de millions d’êtres humains beaucoup plus que les escadrilles de l’US Air Force stationnées en Allemagne, plus que le dispositif de l’OTAN ou que le desk Union Soviétique à la CIA. En menant le combat pour l’Alyah, en faisant son Alyah, le militant juif menait le plus juste et le plus moral de tous les combats de l’ère contemporaine. Le Juif assimilé, ou semi assimilé, accusait le militant juif de « particularisme », de « sectarisme », parfois même de « racisme juif ». Lui se gargarisait d’« universalisme », d'« humanisme », de lutter pour tous les peuples opprimés et pour tous les déshérités de la Terre sans distinction, ou même, comble de l’horreur, pour l’ennemi arabe palestinien. L’assimilé, prompt à sauver l’humanité toute entière, n’avait strictement rien fait pour débarrasser le genre humain du fléau soviétique. Pire, souvent marxiste lui-même, il avait contribué à renforcer la tyrannie rouge en soutenant son idéologie. Pourquoi ? Parce que la dimension universelle du combat pour l’Alyah, ou de l’acte de l’Alyah, échappait au Juif assimilé « humaniste » ou cosmopolite et lui échappe toujours. En scandant dans les rues de New York, de Washington ou de Paris « COMBAT DES JUIFS d’URSS, COMBAT SIONISTE », en faisant son Alyah lui-même, le militant juif se mettait en phase avec l’évènement universel fondateur de la notion de délivrance. Il se mettait en phase avec Moïse et Aaron qui 350O ans auparavant, comme lui, avaient scandé aux oreilles (bouchées) de Pharaon : « Le Tout Puissant qui a créé le ciel et la Terre, le Dieu d’Israël nous envoie te dire : Let My People Go pour qu’ils me servent »
Comme son ancêtre Aaron le Cohen avant lui, le Rabbin Méïr Kahana lui-même donna l’exemple. Alors que cette lutte battait son plein et était loin encore d’être achevée, à la surprise de tous, il prit femme et enfants et monta en Israël en 1972 d’où il poursuivit le combat. Le combat pour l’Alyah consistant à faire l’Alyah soi-même.
Arrêté par le FBI et écroué devant la justice américaine, voici ce que le Rabbin Kahana déclara à la Cour Fédérale qui le jugeait sous divers chefs d’inculpation en 1971 :
"A l’age de cinq ans, mes parents m’ont envoyé étudier la Torah. J’ai poursuivi mes études jusqu’à l’âge de vingt trois ans. J’ai énormément appris durant ces dix neuf années. Il y a des choses qui restent gravées chez un homme à tout jamais. Je crois que de tout ce que j’ai appris, une chose a laissé sur moi son empreinte plus que tout. Quand on me demande ce que c’est d’être juif, quel est le fondement de l’essence juive, ma réponse est : l’amour d’Israël. C’est très facile à dire. Beaucoup de personnes le proclament ; ça ne coûte rien. Pourtant, l’amour d’Israël authentique, consiste à faire ce qu’il faut faire. Ca fait déjà trois ans que je suis membre de la Ligue de Défense Juive. Je ne sais pas ce qui va se passer ce matin [quel sera le verdict], mais je considérerai toujours ces trois années comme un summum d’amour d’Israël. J’ai plus reçu dans la Ligue de Défense Juive que ce que je n’y ai contribué, parce que j’ai eu le privilège de rencontrer des personnes prêtes à se dévouer corps et âmes [……] Je ne déborde pas de joie à me trouver ici, bien que vous, votre Honneur, vous êtes un juge en chair et en os. Je ne suis pas enthousiaste à l’idée de devoir faire de la prison. Cependant, un beau jour, je devrai me tenir devant un juge tout autre. Devant le Roi des rois des rois. A ses côtés, se trouveront, c’est ce que je crois, un grand nombre d’âmes. Je crois que... à chaque fois qu’un Juif arrive dans le monde de la Vérité, ces âmes l'interrogent : " Où étais-tu lorsque nous appelions à l’aide ?" Ces âmes sont les âmes des Juifs de la Shoah, et aussi celles des Juifs d’Union Soviétique. Je voudrai alors pouvoir leur répondre : « j’étais là-bas et j’ai fait tout ce que j’ai pu ».
Effectivement, j’ai fait ce que j’ai pu pour ces âmes, pour ces Juifs. Que j’aille en prison ou non, je continuerai à faire ce que je dois faire. Je nourris l’espoir, indépendamment du verdict qui sera prononcé ce matin, que les membres de la Ligue de Défense Juive, ainsi que tous les autres Juifs continueront à faire ce qu’ils doivent faire. Merci."
Aujourd’hui, nous, anciens refuzniks Juifs de Russie, anciens militants juifs des Etats-Unis, de France ou d’ailleurs, devenus citoyens israéliens, c’est tous ensemble avec les natifs du Pays et avec nos enfants que nous allons mener la plus dure des luttes, une lutte particulariste, une lutte exclusivement juive, sur la Terre des Juifs, à l’intérieur du monde juif, mais de portée universelle, aux répercussions planétaires et même au-delà, une lutte plus difficile que la lutte pour les Juifs d’URSS et plus complexe que la guerre en armes et en uniforme face à l’ennemi arabe - la lutte pour la survie d’Israël, pour la Terre d’Israël et pour la Torah d’Israël, en danger par la démence et l’irresponsabilité criminelles de ses dirigeants en déroute et de ses élites décadentes. Que le souvenir du Rabbin Méïr Kahana, zts’l, nous inspire détermination. N’oublions surtout pas que c’est le Roi des rois des rois, notre Dieu, le Rocher d’Israël, qui de facto, fait le travail. En s’attelant à la tâche pour l’assister comme le faisait le Rabbin Kahana, assistance dont le Créateur n’a pas besoin, c’est ainsi que nous pouvons acquérir la dignitié et le mérite d’avoir été créé juif, et non seulement le subir. Amen VeAmen.
* Hy’d : acrostiche hébraïque de l’expression Hashem Ykom Damo, signifiant Dieu vengera son sang, de circonstance lorsque on mentionne une personne assassinée comme le fut le Rabbin Kahana.
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