jeudi 18 décembre 2008

A contre courant




בס"ד
A contre courant



Traduit de l’hébreu par Méïr Ben-Hayoun



Interview du major général Moshé Yéelon par Amnon Laurd et Gilad Katz paru dans l’hebdomadaire israélien Makor Rishon du vendredi 3 Octobre 2008. Parvenu au sommet de la pyramide militaire Tsahal, Moshé Yéelon a été nommé Chef d’Etat Major de Tsahal en 2002. Son mandat n’a pas été pas reconduit d’une année supplémentaire en 2005, trois mois avant le Désengagement israélien de la Bande de Gaza. (ndlt : depuis 1948, tous les chefs d’Etat Major eurent droit à une année supplémentaire, exception faite de David Eleazar contraint de démissionner après la publication des conclusions de la Commission Agranat - Eleazar décéda d’un arrêt cardiaque quelques mois après la guerre de Kippour).

« Il y a des personnes remarquables dans tous les appareils de l’Etat, mais il y en a aussi certaines qui se compromettent, qui s’abaissent, qui démissionnent devant leur devoir moral, qui dévient du droit chemin ». Dans son nouveau livre, Moshé Yéelon critique virulemment le processus de prise de décision politique lorsqu’il était à la tête du Renseignement militaire et à la tête de l’Etat Major de Tsahal, non sans omettre de citer des noms. Selon lui, Rabin aurait interrompu le processus d’Oslo s’il n’avait pas été assassiné. D’après Yéelon, le « forum de la ferme » (ndlt : en référence à l’entourage proche du Premier Ministre Sharon se réunissant périodiquement à la ferme des sycomores appartenant à ce dernier) a tenté de lui imposer de nommer à des postes clé des personnes inaptes en échange de son maintien au poste de chef d’Etat Major pour une année supplémentaire. Entrer en politique ? «Je me prononcerai quand on annoncera les nouvelles élections » répond-il.

Moshé (Boggy) Yéelon a commencé à rédiger son nouveau livre « Un itinéraire long et court » sur ordinateur. Quand il s’est rendu compte que sa réflexion se faisait au rythme de la rédaction, il s’est mis à écrire au crayon et sur des feuilles de brouillon, méthode plus classique qui sied mieux à ce membre du kibboutz Groffit (ndlt : kibboutz du Sud de la Arava à quelques kilomètres au Nord d’Eilat) chaussé des traditionnelles sandales israéliennes dites « bibliques ». L’interview s’est tenue, à sa demande, très tôt le matin. Dans son modeste bureau du Centre Shalem, l’atmosphère est amicale, en phase avec l’environnement pastoral du quartier de Katamon de Jérusalem que l’on aperçoit des fenêtres. Sur sa table de travail, deux épais volumes sont ouverts ; à côté, un grand verre d’eau et une tasse de café. Yéelon revenu à la vie civile, le bouton supérieur de sa chemise ouvert, il nous accueille sans façon. Son attitude fort simple pour un homme de sa trempe, ne permet aucunement de deviner son riche passé militaire. Au dessus d’une collection de diverses revues, trône son récent ouvrage "un itinéraire long et court".

Yéelon y retrace les quinze dernières années pendant lesquelles il a été exposé de très près aux processus de prises de décisions au plus haut niveau en Israël. Depuis qu’il fut nommé Commandant des forces de Tsahal en Judée Samarie en 1992, ensuite comme chef du Renseignement militaire, Chef d’Etat Major adjoint, puis, pour finir, Chef d’Etat Major entre les années 2002 – 2005. C’est une image très inquiétante qui ressort des processus sous jacents de prises de décisions qui ont produit les évènements que nous connaissons. « Les analyses que j’en ai tirées m’ont été extrêmement pénibles » écrit-il dès l’introduction de son livre. « J’ai cru devoir faire partager cela au peuple d’Israël, ou plus exactement avec ceux pour qui l’entreprise sioniste revêt une importance primordiale et pour qui l’existence d’un foyer national juif est impérative ». Et il poursuit : « J’ai ressenti une profond malaise, lorsque je me suis rendu compte au cours de mes dernières années au service de l’armée, que les constatations que j’ai pu faire n’avaient pas la place qu’il leur revenait dans le débat public israélien – débat fortement influencé par les intérêts des élites et des cercles dominants de la société israélienne, et de la culture du rating et du spin ».

Ma prise de conscience

« La cause directe de la dégradation du statut stratégique d’Israël face aux palestiniens fut la décision malheureuse, consternante et inexplicable du Désengagement par le Premier Ministre Ariel Sharon. En ce qui me concerne, je n’ai pas l’ombre d’un doute que la décision de Sharon procédait de considérations non avouables. Quand il s’est trouvé en situation délicate suite aux enquêtes policières dont il faisait l’objet. Alors qu'il était aussi en détresse politique consécutive à sa baisse de popularité, Sharon a décidé de " renverser la table " et d’initier une manœuvre dramatique en totale contradiction avec sa conception politique et avec sa vision des choses ». (Page 157)

Monsieur Yéelon, l’image qui ressort de votre livre est celle d’une totale putréfaction du pouvoir en Israël, lorsque des personnes incompétentes et corrompues arrivent au sommet. Peut ont décrire ce phénomène comme "capitaux-pouvoir-médias" ?

« Ce n’est pas seulement cela. C’est tout ce qui a projeté notre société dans le désarroi, ou même au délà, ces quinze dernières années.



Vous voulez parler de la société israélienne ou de ses élites ?

« De la société de façon générale aussi, parce qu’elle est fortement influencée par le débat public. La société israélienne est assujettie aux politiciens qui lui érigent des veaux d’or et la bercent d’illusions ou, dans leurs propres termes, lui vendent "l’espoir de paix"

Alors, à qui vous adressez-vous ?

« Je m’adresse au grand public qui est en principe le souverain. Le peuple qui élit ses représentants et qui n’obtient que ce que les médias veulent bien lui offrir. Je m’adresse aussi à moi-même. Dans le livre, je décris le processus de ma prise de conscience sur le conflit israélo-palestinien. Je suis issu d’un foyer qui soutenait l’idée du compromis territorial. Le parti des ouvriers d’Eretz Israël, Kyriat Haïm (banlieue prolétaire du nord de Haïfa), le quotidien ‘Davar’ (quotidien de la gauche ouvrière sioniste), le mouvement « HaNoar HaOved VeHaLomed » (mouvement de jeunesse sioniste de gauche). Lorsque les accords d’Oslo ont été signés, j’étais favorable. Je les considérais comme une opportunité d’obtenir paix et sécurité. J’y croyais sincèrement. Lorsque je suis entré en fonction comme commandant du Renseignement militaire et que j’ai commencé à voir les choses d’un peu plus près, , j’ai saisi qu’il y avait là un traquenard et qu’on se voilait le visage pour ne point voir. En apparence, nous débattions de la solution au conflit et de facto, nous éludions la question de savoir quel est le véritable problème.
« Quand on y regarde de près pourquoi telle chose arrive, alors oui, c’est la trinité "capitaux-pouvoir-médias" et toute cette corruption. Heureusement, aujourd’hui, on s’en occupe un peu plus qu’à l’époque de la fin de mon mandat de chef d’Etat Major. Quand on me demandait ce qui m’empêchait de fermer l’œil la nuit en tant que Chef d’Etat Major, on s'imaginait que j’allais répondre « la bombe iranienne ». Je répondais : « la corruption ». Il faut bien comprendre ce qui permet aux élites «capitaux-pouvoir-médias » de faire la fiesta et de tromper le public ».

Ou peut-être que ces élites ont foi en cela et qu’elles n’ont pas encore pris conscience comme vous ? Posons la question différemment. Vous affirmez dans votre livre que si Rabin n’avait pas été assassiné, il aurait repoussé l’affrontement à une date ultérieure. Vous vous attendiez qu’à un moment ou à un autre, il aurait tranché sur la question et qu’Israël se serait engagé dans une confrontation avec les palestiniens ?

« Absolument. Mais revenons un instant aux principes de la pensée occidentale qui veut que tout problème ait une solution. C’est la raison pour laquelle, il est facile de manipuler la société israélienne et de lui affirmer que la solution au problème est à portée de main et tout ce qu’il faut faire pour le moment, ce sont des compromis : on se désengage de la Bande de Gaza et on sera tranquille - on se retire de la Judée Samarie et on coupe l’herbe sous les pieds des revendications palestiniennes. En réalité, avec les retraits de ces dernières années, depuis le retrait du Sud Liban et celui de la Bande de Gaza, on constate que les extrémistes de ce que j’appelle l’Islam ’djihadique’ se sont renforcés. Tout ce discours qui fait gober au public ce mensonge énorme de veau d’or et d’espoirs vains, a réussi dans son entreprise. Dans mon livre, je m’adresse au citoyen qu’on a gavé de mensonges pour qu’il observe avec attention la réalité telle que je l’ai vue. Bien entendu, j’espère que cela aura un impact sur la politique et sur les médias. Ils ne sont quant même pas tous corrompus – mais en premier lieu, je m’adresse au citoyen israélien confondu ».
Pourriez-vous désigner du doigt l’évènement qui a déclenché chez vous cette prise de conscience ?

« Cela a été un long processus, mais on pourrait dire que ça s'est passé lorsque j’étais commandant des Renseignements militaires. J’ai diagnostiqué une nette distorsion entre ce qu'affirmaient les médias et ce que je lisais dans les rapports de renseignements. Ce faussé m’a poussé à m’interroger sur le processus de paix. Quand les accords d’Oslo ont été signés, j’étais commandant du complexe d’entraînement de Tséelim, je n’étais pas encore exposé aux sources de renseignement si ce n’est ce que voulaient bien nous dire les médias ».
Qu’est ce que vous voulez dire par « distorsion » ?

"Dans mon livre, je relate un entretien avec le Premier Ministre Rabin en août 1995, deux mois après ma prise de fonction aux renseignements militaires. C’était une réunion bimensuelle, routinière entre le Premier Ministre et le chef du Renseignement. On y échange des évaluations, des informations et on y fait les mises à jour. J’ai donc exposé au chef du gouvernement Rabin mon évaluation stratégique. Je lui ai dit : « Monsieur le Premier Ministre, je suis dans le devoir de vous informer sur la distorsion entre la manière avec laquelle Arafat est présenté chez nous, comme dirigeant déterminé à parvenir à un compromis territorial dans les frontières de 1967 et ce que je constate sur le terrain, dans sa rhétorique à usage interne, dans les contenus des médias palestiniens – et le plus grave – dans les programmes scolaires sous son contrôle exclusif. Après Olso, je me serais attendu à ce que le système éducatif palestinien reconnaisse l’Etat d’Israël comme un Etat juif. Ce n’est point ce qui se passe. C’est même tout le contraire. Il y a dénégation de plus en plus radicale de tout lien entre le Peuple juif et la Terre d’Israël. Il n’existe pas de sites sacrés pour les juifs dans tout le pays. L’Etat d’Israël n’apparaît pas du tout sur leurs cartes de géographie. Acre, Jaffa et Haïfa sont pour eux des villes portuaires palestiniennes et Tel-Aviv est une colonie."

Quelle fut la réaction de Rabin ?

"Je dois rappeler que ces propos ont été tenus alors qu’en arrière-fond il y avait les explosions d’autobus chez nous, chose qu’Arafat aurait pu empêcher mais n’a rien fait. Je l’affirme en connaissance de choses. De facto, le Hamas l’avait défié et il n’avait pas hésité à lui "rentrer dedans". L’un des cas les plus connus fut lorsque Arafat fit capturer quatre hauts responsables du Hamas et leur fit raser la moitié de la moustache et de la barbe. De sorte qu’il porta atteinte à leur honneur. Dans les codes de la culture arabe, cela est considéré comme plus grave que la mort. Tout au long du processus, les secrétaires d’Etat américains successifs, Warren Christopher, Madeleine Albright et Collin Powell voulaient absolument savoir pourquoi Arafat ne combattait pas le terrorisme : était-ce une question de volonté ou de pouvoir le faire. Lors de mon exposé au Premier ministre, Warren Christopher (ndlt: Secrétaire d'Etat aux affaires étrangères dans le premier mandat de l'administration Clinton) me posa à nouveau la question. Je lui ai répondu clairement : « Cela est dû à la mauvaise volonté d’Arafat ». Et pourtant Arafat n’avait rien à craindre du Hamas. Il avait même parfois fait exécuter ses activistes ».

A ce stade de l’interview, le ton calme et monocorde de Yéelon monte. On sent bien qu'il en souffre jusqu’à aujourd’hui. Nous lui rappelons que Madeleine Albright avait affirmé qu'« Arafat fait cent pour cent d’efforts, mais que faire, il ne récolte pas cent pour cent de réussite ». Ce propos semble confirmer ses dires. « C’est vrai qu’elle a dit cela après l’attentat du café ‘Apropo’ à Tel-Aviv en 1997. C’est la naïveté américaine qui me met hors de moi. Cependant, il est vrai aussi que nous israéliens dispensions Arafat de toute responsabilité. En fait, que voulait dire : "nous ferons la paix comme s’il n’y a pas de terrorisme ? " On lave ainsi le leader palestinien de toute responsabilité dans le terrorisme qu’il manipule. Et de facto, je sais de par ma fonction de commandant du Renseignement qu’il est impliqué jusqu’au cou dans le terrorisme ».

" Revenons donc à la réunion de travail avec Rabin. Après lui avoir exposé cette distorsion concernant Arafat, soi disant partenaire pour la paix, mais en réalité chef d'orchestre du terrorisme sur le terrain, il me demanda : "Bon ! Que suggérez-vous qu’on fasse ?" Je lui répondis : "d’un point de vue strictement militaire, nous devons stopper le processus d’Oslo et cesser de balayer les problèmes sous le tapis." A posteriori, il s’est avéré que balayer les problèmes sous le tapis et la non application des accords par les palestiniens avaient commencé dès qu’Arafat était arrivé à Gaza en mai 1994, lorsque il avait caché dans sa voiture le terroriste Mohamad Amarin dont nous avions interdit l’entrée dans le pays, ainsi que des armes de type RPG qu’il était interdit d’introduire - toujours d’après les accords d’Oslo. Il s’est avéré également, lorsque je n’étais encore que commandant de la base de Tséelim, que l’armée exigeait l’application à la lettre des accords et le leadership politique réagissait ainsi : "on n'engage pas d'état de crise pour le moment". Et ainsi, on a fermé les yeux sur transgression après transgression. C’est pour cela que j’avais dit à Rabin qu’il fallait geler le processus d'Oslo afin qu’Arafat comprenne qu’il devait faire le ménage chez lui. »

Et quelle fut la réponse de Rabin ?
Il me dit : "vous avez raison, mais que faire ? L’Autorité palestinienne est à la veille d'élire son président. Je leur présenterai cet ultimatum juste après leurs élections". Comme on s’en souvient, Rabin a été assassiné en novembre 1995 et après, ça n’a été qu’une gestion "je-m’en-foutiste". C’est là que ma prise de conscience a commencé. Mais je dois faire l’aveu que je regrette pas mal de choses. Lors d’une réunion de la commission des affaires étrangères et de la Défense à la Knesset en 1994, j’ai été surpris impréparé par le député Benny Begin (ndlt: fils de feu Menahem Begin, alors député du Likoud) me citant le discours d’Arafat de cette même année à Johannesburg (Arafat compara les accords d’Oslo au traité de Houdaybeh que le prophète Muhammad signa alors qu’il était en état d’infériorité face à la tribu des Koreish, tout en ayant l’intention de l’enfreindre dès qu’il se retrouverait en position de force. AL et GK). Au summum du festival d’Oslo, avant l’assassinat de Rabin, donc bien avant les prétextes de "qui a assassiné la paix ?" Cette citation m’a pris de court, moi, commandant en chef des services de renseignements militaires. J’en étais tout en colère envers les gens de mes services. Comment cette citation avait pu nous échapper d’autant qu'elle était disponible pour tous ? »

A ce propos, vous critiquez le directeur du Shabak (ndlt : Service de Sécurité Intérieure) d’alors, Ami Ayalon et vous dites qu’il aurait, en quelque sorte, balayé sous la table le rapport d’analyse stratégique de la section recherche de son service.

Je voudrais au préalable préciser que j’ai été contraint de citer des noms dans mon livre. Il ne s’agit pas de problème personnel envers untel ou untel mais de la propagation de ce syndrôme à en devenir une véritable épidémie. On se trouve dans un système d'Etat qui fonce droit vers un objectif politique bien défini et qui élude l’analyse du service de renseignement militaire. Au sein du renseignement militaire, il y avait alors des personnes comme Yaacov Amidror qui était à la tête du département "Recherche", ensuite Amos Gilad (plus tard chef du QG d'estimation stratégique-politique) et Yossi Copperwasser. A ma satisfaction, même lors de la Seconde guerre du Liban, le commandant du département "Recherche" Yossi Baïditz a exposé ouvertement son analyse. Ce sont des personnes intègres qui n’hésitent pas à mettre carte sur table et à exposer sans crainte leurs analyses. Le leadership politique peut accepter ou repousser leurs visions des choses. Il est tout à fait légitime que les dirigeants politiques rejettent l’analyse du Renseignement militaire parce qu'ils se sont fixés un objectif bien déterminé. De toute manière le " commandant de bord " peut lui-même influer sur la réalité et vouloir la transformer – cependant ce que je critique, c’est cette tendance à ignorer nos informations et analyses. Même au sein du Service de renseignement militaire, on en est arrivé à éluder des informations pour ne pas déplaire à l'appareil politique parce que celui-ci avait emprunté une voie politique bien définie, à ne pas dévier sous aucun prétexte. »

Un instant, vous voulez nous dire qu’au Service de renseignement militaire, certaines personnes ont ignoré intentionnellement un certain type d’informations ?

« Il me semble que oui. Cela arrive. Nous sommes en fait dans un système dont le leadership politique se trouvant au dessus de nous a déjà décidé quelle direction prendre, de telle sorte qu’il y a tentation de ne lui dire que ce que certaines oreilles désirent entendre. »

Vous voulez parler là de manque de professionnalisme ?

« Manque d’intégrité professionnelle! Cela arrive. Heureusement, cela n’a pas été le cas pour tous et plus précisément au sommet du système. Quant à Ami Ayalon, je décris dans mon livre quelques évènements dont j’ai ressenti que son analyse professionnelle était en grande partie le fruit de sa conception politique (il est issu du même creuset politique que le mien) – en dépit du fait qu’au sein de son Service, les choses étaient perçues de façon diamétralement opposée.
L’exemple le plus frappant était le "feu vert", un an après les attentats de février -mars 1996. Un an après que le Hamas eût pris la décision stratégique de cesser les attentats suicide. Dans la nuit du 9 au10 mars, Arafat avait réuni tous les hauts responsables des organisations terroristes. Vers la fin de cette réunion, tous, y compris Razi Djebali, le commandant de la police palestinienne, avaient saisi qu’Arafat désirait une vague d’attentats. Il est important de comprendre qu’il n’y a pas d’ordre clair et explicite "allez me faire des attentats." D’ailleurs, je voudrai citer le livre du professeur Ygal Eilam : "Des exécuteurs d’ordres", qui explique que même chez Hitler, il n’y avait pas d’ordre explicite de mettre en œuvre la "solution finale". Mais il y avait ce qu’on appelle "l’état d'esprit du commandant". Tous savent exactement ce que désire Arafat. Même en septembre 2000, il n’y a pas eu d’ordre clair de faire éclater la nouvelle Intifada, mais Marouan Berghoutti savait très bien ce que voulait Arafat. Il y a un livre du conseiller d’Arafat, Mamdouh Nofel, qui explique très bien comment le président de l’AP a mené et a initié la guerre terroriste palestinienne.
Et donc, pour en revenir à mars 1997, le lendemain de la réunion chez Arafat, est enclenchée une dynamique au bout de laquelle le Hamas perpétue des attentats. Le premier attentat s’est produit onze jours plus tard au café Apropo (ndlt : à Tel-Aviv). Ensuite, le 1er avril, l’attentat du Djihad islamique à Kfar Darom, heureusement attentat raté qui ne fit aucune victime. Razi Djebali (ndlt : alors chef de la police palestinienne) recruta deux équipes commandées par deux colonels de la police ; l’un de Sichem (Naplouse) et l’autre de Tulkarem. La première équipe a exécuté un attentat contre le Rav Elyakim Levanon, le rabbin de l’implantation d’Elon Moreh au carrefour des ‘Asqarim’. En route pour perpétuer un deuxième attentat, dans le secteur de Har Berakha, cette équipe de terroristes a été interceptée par nos forces. A ce stade, il s’est avéré que celui qui les avait envoyés était ce colonel sous les ordres directs de Djebali. Et qui se trouvait au dessus de Djebali ? Nul autre qu’Arafat en personne! Et chez nous, on a minimisé la chose pour la balayer d’un revers de main. De là, je suis arrivé à la conclusion, en tant que chef du Renseignement militaire, qu’Arafat avait donné le feu vert aux attentats. A mon grand regret, Ami Ayalon, le directeur du Shabak a soutenu le contraire ».

Ce n’est pas plaisant de l'affirmer, mais tout enfant en cours préparatoire dans les implantations de Judée, Samarie et Gaza savait a priori ce que vous n’avez découvert bien tard en tant que commandant du Renseignement militaire. Ont-ils vu la réalité telle qu’elle l’était ?

« Il est important de comprendre qu’il y a une composante essentielle qui échappe aux yeux du chef des renseignements, c’est le côté israélien. Par exemple, la direction politique en Israël peut et est en droit de dire qu’elle va vers un "Nouveau Moyen Orient". C’est une question d’approche, de vision du monde. Un leader peut aussi déclarer : "c’est vrai, c’est la réalité telle que vous la percevez en tant que chefs des renseignements, mais moi, je vais la changer". Donc, il est un peu simpliste d’affirmer qu’un enfant des implantations a tout compris. Il y a un facteur très important, le leadership en Israël qui prend l’initiative d’enclencher des transitions activement et non de façon passive.
D’autre part, c'est vrai, je regrette de m’être trompé. J’aurai dû mettre les points d’exclamation beaucoup plus tôt. Je n’ai commencé à les mettre seulement qu'à partir du 4 octobre 2000 lors de la rencontre de (Ehoud) Barak, d’Arafat et de Madeleine Albright à Paris. Déjà en 1999, lorsque j’étais commandant de la Région centre, j’avais identifié qu’Arafat ouvrirait les hostilités en septembre 2000, qu’il en faisait les préparatifs. Et pourtant, alors, nous débattions de savoir ce qu’Arafat voulait obtenir en déclenchant cette guerre. Avait-il l’intention d’obtenir un état palestinien aux frontières de 1967 sans le recevoir de bon gré sur un plateau d’argent mais par le feu et par le sang pour ce qu’il estimait être l’honneur arabe palestinien ? Ou bien, ne voulait-il tout simplement pas arriver à un compromis fondé sur le principe de deux états pour deux peuples ? Chez moi, ce débat interne a pris donc fin ce 4 octobre 2000 à Paris, lorsque Arafat se débina d’une proposition de cessez-le-feu. J’ai compris que les dès étaient jetés, que tout n’était qu’un château de cartes et qu’en fait, il appliquait la "stratégie des étapes" bien connue.
Cependant, bien après que j’eusse mis des points d’exclamation et que la direction professionnelle de l’armée eut statué que c’est Arafat qui avait décidé de déclencher cette guerre terrible, je me suis retrouvé au conseil des ministres où on m'a rétorqué : ‘Qu’est ce que vous dites là? Qu’est ce que vous nous faites d’Arafat un si fin stratège. C’est un pauvre gars qui ne contrôle rien. Il nous faut renforcer son leadership". Alors imaginez-vous ce que ressent Arafat ? Il a ouvert la guerre ou a donné le feu vert aux attentats terroristes. Il sait que nous le savons et malgré ça, il voit la direction politique israélienne le traiter avec déférence comme un partenaire pour la paix. Tout cela ne lui a fait qu’un effet de faiblesse de notre part ».

Etiez-vous conscient que cette guerre allait durer aussi longtemps? Pourquoi l’opération ‘Rempart’ n’a été initiée qu’après un an et demi de vagues d’attentats terribles contre les civils israéliens ?

« C’est précisément là-dessus que j’avais une critique très dure envers la direction politique. Sur un certain nombre de points, c’étaient les mêmes personnes. Je critique d’ailleurs très durement Shimon Pérès sur ce point. C'est lui qui a été le meneur de cette ligne consistant à dire qu’il fallait renforcer Arafat depuis septembre 2000. Ceux qui ont mené la politique voulant poursuivre les négociations à Taba (ndlt : en Octobre 2000, au début des hostilités et des attentats), c’était aussi Pérès et les personnes autour de Barak. Même après l’attentat du Dolphinarium (ndlt: en Juin 2001, attentat à la bombe qui fit un grand nombre de victimes dans ce night-club à Tel-Aviv), lors d’une réunion gouvernementale, nous avions débattu de l’éventualité d’initier une action militaire d’ampleur. Celui qui a empêché cette opération fut Pérès avec l’aide du ministre allemand des affaires étrangères, Joshke Fischer, qui se trouvait alors en Israël.
Israël lui avait demandé de sommer Arafat de se présenter devant les caméras de télévision et d’appeler à la cessation des attaques terroristes. Par conséquent, Pérès avait persuadé le gouvernement de ne pas s'engager dans une action militaire. La décision ne consistait pas à désigner Arafat comme ennemi alors qu’il contrôlait le terrorisme et le soutenait. On s’attendait donc à ce qu’Arafat se présentât en direct à la télévision le soir même à heure fixée pour proclamer le cessez-le-feu. Au même moment, Miguel Moratinos (ndlt: homme d'état espagnol, envoyé de l'Union Européenne au Moyen Orient) se trouvait chez lui. Ils se sont tout deux présentés devant les caméras et uniquement Moratinos prit la parole alors qu’Arafat se trouvait à ses côtés et ne prononça pas un mot. Qu’est ce que cela signifiait pour le public palestinien ? Qu’Arafat continuait à soutenir le terrorisme !
Seulement après l’attentat à l’hôtel Park de Natanya (ndtl : l’attentat à la bombe le plus meurtrier qui fit 30 victimes le soir du Séder de Pessah en mars 2002) Pérès qualifia Arafat d'ennemi. Qu’est ce qui avait changé entre temps ? Chez Arafat, rien du tout. La seule différence, j’ai le regret de le dire, c’étaient les centaines de victimes des attentats qui s’étaient ajoutées. Et même lorsque Pérès a voté en faveur de l’opération Rempart, au lieu d’exploiter son prestige sur la scène internationale pour dénoncer Arafat comme celui qui a trompé son monde, il ne fit que minimiser le rôle de ce dernier. Et c’est ainsi jusqu’à aujourd’hui. Après tous ces échecs, nous ne dénonçons pas les palestiniens de façon claire et nette. Je suis conscient qu’on ne peut changer du tout au tout l’approche du peuple à qui on a fait avaler des mensonges de paix et d’espoir ».

En fait, ce que vous dites, c’est que tout n’est que basse politique ? Premier Ministre, les ministres, le directeur du Shabak ?

Il y a des personnes excellentes dans tous les appareils d’état, mais il y a aussi sans aucun doute, des personnes qui s’abaissent, qui se compromettent, qui dévient du droit chemin. En chiffre absolu, à l’Etat major que je commandais, je peux dire qu’il y avait deux trois personnes comme cela, sur un total de vingt quatre, qui, à mon avis, ont franchi la ligne de démarcation en s’acoquinant avec des politiciens ou avec des journalistes. Le problème commence par le système politique corrompu : c’est là qu’on trouve ces gens parce qu’avec eux, on peut "voler des chevaux". Il ne sont pas la majorité, mais le pourrissement qu'ils engendrent est dangereux et il se propage ».

Est-ce que Dan Haloutz aurait subi un tel processus au contact des politiques ?

« Je parle de façon générale. Quand je suis parvenu au grade de général de brigade, j’ai saisi que les tentations sont très fortes pour un officier supérieur. Elles peuvent provenir de deux directions. En premier lieu, en se liant aux politiciens, parce qu’en fin de compte, ce sont eux qui décident qui sera promu ou ne le sera pas, qui deviendra le Chef d’Etat major. Deuxième tentation, se lier aux gens des médias. Vous leur remettez une information classifiée et ensuite il écrivent des choses flatteuses sur vous. Si vous vous en tenez à la retenue d’officier, alors on écrit sur vous des choses pas très flatteuses. C’est la raison pour laquelle j’estime que les officiers supérieurs doivent observer une "éthique du haut commandement". "Dites sans crainte votre opinion professionnelle, mais ne dérogez pas à cela. Vous n’avez pas été élus et ne faites pas partie du pouvoir exécutif. Ne critiquez pas publiquement une décision gouvernementale après qu’elle eût été prise". On ne fait pas ce genre de choses lorsqu'on porte l'uniforme. Malgré mon opposition au Désengagement, je ne l’ai jamais exposée publiquement».

Malgré vos propos très durs et très critiques, vous êtes quant même arrivé au sommet de la pyramide. Il s’avère qu’on peut faire autrement ?

« Bien sûr. Ce que je veux dire c’est que les actions des officiers parleront pour elles-mêmes ».

D’autre part, vous dites que vous avez été selectionné pour être chef d’Etat major parce que le « forum de la ferme » ne savait pas comment vous prendre ?

« Si j’ai bien lu la carte alors, le ‘forum de la ferme’ ne voulait vraiment pas de moi comme Chef d’Etat major. On en avait même parlé dans les médias. A mon avis, si Dan Haloutz ne s’était pas acoquiné avec le ‘forum de la ferme’, Gaby Ashkénazy aurait été nommé chef d’Etat major après moi. Ca ne retire rien au fait que Haloutz était un excellent commandant en chef de l’armée de l’air ».

Gaby Ashkénazy ne s’est acoquiné de personne dans le monde politique ?

« Voilà! Vous voyez qu’on peut atteindre les sommets sans être "pistonné". Tout le monde n’est pas "pistonné". Mais je parle de cela parce que, que faire? À une certaine période "les impies ont triomphé". C’était l’une de mes confrontations avec le "forum de la ferme", c'est-à-dire avec l’un des sous-forums du "forum de la ferme" qui s’occupaient de ces choses : Ariel Sharon, son fils Omri et Maître Dov Weissglass, les autres, beaucoup moins ».

Eyal Arad n’était pas mêlé aux nominations ?

« Non, il était responsable du marketing du plan de Désengagement et d’autres propositions du même acabit. La décision du Désengagement a été prise dans ce forum et non au sein d’un forum professionnel ».
La nomination de Qaradi (ndlt : nommé super intendant général de la police le 1er août 2004….et contraint de démissionner suite aux conclusions de la Commission Zeiler sur le crime organisé le 1er mai 2007) était une lumière rouge quant à ce qui allait se produire au sein de l’Etat major ?

« Je ne voudrais pas rentrer dans les détails de la nomination de Qaradi, d’autant qu’il n’est point coupable de sa propre nomination. A mon avis, il ne participait pas à cette connivence. Tout le sommet de la police a été alors décapité. Et il n’y a aucun doute que cela constituait un avertissement quant aux nominations à l’Etat major de Tsahal.

Un instant, vous voulez parler aussi du ministre de la sécurité intérieure à cette époque, Tsahi Hanegbi ?

« Absolument ! Il était le ministre de la sécurité intérieure et il était de connivence avec Omri Sharon ».

Aujourd’hui, comment voyez-vous l’ère Sharon ? Un période de ténèbres révolue ou une manière de gérer les affaires de l'Etat qui perdure ?

« Dans l’armée, il y a deux phénomènes qu'on souhaiterait résorber complètement – les brimades et les rapports entre les anciens et les nouvelles recrues. Ces phénomènes, je les classe dans ce que j’appelle "sous culture délinquante". La politique de l’armée est très claire là-dessus : les brimades sont prohibées et il ne doit pas se créer de situation où, dans les compagnies de vétérans, les nouvelles recrues deviennent les serviteurs des plus anciens. Mais, que faire? Le cœur de l’homme fait que parfois de tels phénomènes surgissent. Il y a toujours des instincts mauvais qui perdurent. Dans le contexte de la corruption, il y a lutte permanente entre les "bons" et les "méchants". J’ai l’impression que le point culminant de cette lutte contre la corruption au pouvoir a eu lieu lorsque j’étais chef d’Etat major, à l’époque de Sharon ».

Sharon, était-il à la tête d’une "sous culture délinquante" ?

« On se souvient tous de la corruption. Ces enquêtes qui ne furent jamais achevées. Des choses pour lesquelles je suspecte des considérations non avouables, y compris dans la décision du Désengagement. Mais avant cela, la question sur Jéricho et le casino et la question de l’énergie. J’ai senti quelque chose de très nauséabond dans tout ça, surtout pour les choses me concernant. Je pressentais que les considérations étaient étrangères, mais je ne pouvais pas fournir de preuves. Pour cela, lorsque j’ai raccroché l’uniforme, j’étais beaucoup plus inquiet qu’aujourd’hui, parce que le système juridique aujourd'hui, malgré les tentatives de l’affaiblir, a riposté. Le parquet, la police et même le public sont maintenant conscients de ce problème ».

Dernièrement, vous avez aussi mentionné que la politique d’Israël dans Gaza serait influencée par des considérations concernant les liens avec la société British Gaz.

« Absolument, j’ai émis plusieurs interrogations concernant la politique d’Israël à Gaza, même si ce n’est pas lié à British Gaz. Egalement concernant la politique d’Israël sur le sujet des accords avec British Gaz ».

Vous vous référez à l’ingérence de Martin Schlaff? (ndlt: milliardaire juif autrichien, partenaire du casino de Jéricho, intime de personnalités israéliennes et palestiniennes de premier plan et lié à British Gaz)

Pourvu qu'il n'y eut que Martin Schlaff. En ce qui le concerne, pour parler en jargon militaire, il n'y a pas de doute qu'il prend d'assaut le bureau du Premier Ministre. Depuis l'assassinant de Rabin, on a vu des personnalités du bureau du Premier Ministre qui se sont associées à lui. Le premier fut Shimon Shévès (ndlt: chef de cabinet de Rabin). Ensuite ce fut le tour d'Avigdor Liebermann lorsqu'il quitta Netanyahou de se joindre à Schlaff pour le monde des affaires et Dov Weissglass est rentré chez Sharon lorsqu'il était l'avocat les intérêts de Schlaff pour tout ce qui concernait Casino-Autriche. En 2003, en tant que Chef d'État major, j'ai découvert qu'il y avait eu quelques irrégularités dans les considérations à remettre Jéricho à Abou Maazen. Pas la décision en elle-même, qui a été prise dans un cadre professionnel, mais la façon avec laquelle cette passation s'est faite et les lieux choisis pour déployer les check points. J'ai posé ces questions et ai provoqué un tumulte. En fin de compte, ma prise de position a été adoptée. Mais on ne peut se dégager de l'impression que dans ce processus, quelque chose n'allait pas rond ».

En attendant la bonne plate forme

Avec votre permission, un peu de "politique politicienne". Seriez-vous enclin à prendre sur vous des responsabilités et des fonctions politiques à un niveau national?

Il y a deux domaines: Le leadership et l'éducation. D'éducation, je m'occupe déjà aujourd'hui. Quand au leadership, j'avance des idées pour toute la direction politique dans le livre que j'ai écrit, dans des articles et dans mes conférences. Je ne suis pas naïf. Je suis conscient que la seule manière d'influencer, c'est par la politique – à l'exécutif ou au législatif. On sait bien que les décisions ne sont pas prises au Centre Shalem ou dans tel ou tel institut de recherche. La vérité est que je ne suis pas passionné de m'engager dans la politique. De par mon expérience passée, je n'affectionne pas particulièrement ce domaine. De plus, aujourd'hui, la politique exerce une sélection négative dans l'État d'Israël, à l'opposé de l'armée qui sélectionne les meilleurs pour les unités de prestige.

Pourriez-vous préciser?

Si, pour réussir en politique, il faut faire du copinage avec les grandes fortunes et avec les magnats de la presse, je n'ai rien à voir avec ça. Jamais, je ne ferai du copinage avec ces éléments-là.

Vous parlez d'Olmert? De Livni? De Barak?

« Il n'est point question de telle ou telle personnalité. Un Premier Ministre faisant l'objet de tant d'enquêtes, c'est clair qu'il y a là corruption. Toutes ces enquêtes n'ont pour objet que de gros sous. Comment a-t-il pu de cette manière être lié aux gros sous? Et avec la presse ou avec tout média contrôlé par les grosses fortunes, ce qui n'est pas toujours compatible avec les intérêts vitaux de l'État d'Israël? Voilà donc le problème dans toute sa gravité. Et ainsi, un dirigeant politique, au lieu de mener aux destinées du pays, c'est lui qui se fait mené par le bout du nez. Donc le système politique actuel fait la promotion de personnes liées aux grandes fortunes. Je sais très bien que je vais devoir payer pour les propos que je tiens là, que ces paroles vont attirer les foudres, mais je n'en ai rien à faire. Ce qui me préoccupe, c'est l'État d'Israël et je suis prêt à donner ma vie pour lui. Je suis encore prêt à monter au créneau et à donner l'assaut pour notre pays.
Si je parviens à la conclusion qu'il n'y a pas de plateforme politique satisfaisante, que je ne suis pas prêt à jouer selon les règles du jeu en vigueur, alors peut-être, est-il préférable que je reste en dehors et que je me limite à ne prodiguer que des recommandations? »

Pour le moment, vous ne disqualifiez pas l'éventualité de faire votre entrée en politique?

« Si je trouve la bonne plateforme, là où je ne me contenterais pas d'être un joueur de plus, mais où je pourrais influencer, alors là, on pourra considérer positivement cette éventualité ».

Vous parlez du Likoud?

« J'ai exposé l'éventail de mes dilemmes. C'est amplement suffisant ».

Quand allez-vous trancher?

« Il est clair que lorsque seront annoncées les prochaines élections, je devrai me prononcer. Certainement pas avant ».

Ne vous est-il pas étrange que justement dans un parti politique qui n'est pas celui de votre creuset, on désire tant vous voir le joindre?

« Ca m'est étrange et pas étrange en même temps. Parallèlement, dans mon creuset politique, on m'ignore royalement. Ca ne m'est point bizarre parce que je sais ce qui passe là-bas. Le professeur Amnon Rubinstein du parti Shinouï, politicien de gauche, a déclaré récemment lors d'une interview à la question: "Que vous arrive-t-il? Avez-vous bougé à droite?" Il a répondu "Pas du tout! Je suis resté là où j'ai toujours été, mais tout le monde a bougé à gauche toute ».

Serait-il possible que vous érigiez une nouveau cadre politique?

« Je n'ai vraiment pas envie d'aborder ce sujet ».

Êtes-vous en contact et vous concertez-vous avec des politiques?

« J'essaie d'éviter cela. Quand on me contacte pour connaitre mes vues, la réponse est que je ne parlerai pas politique jusqu'à ce que je décide d'entrer en politique et que si on veut connaître mes positions professionnelles en tant qu'ancien militaire, je suis prêt à les exposer ».

Certaines personnes disent que vous êtes plein d'amertume parce que votre nomination de Chef d'État major n'a pas été reconduite d'une année supplémentaire et que par conséquent vous crachez feu et foudre sur l'establishment. Pour ces gens, votre livre en est la preuve.

« Les réactions à mes propos sont pavloviennes, dans le but de me disqualifier. Tout d'abord, je ne suis pas mis à supplier pour une quatrième année, de la même manière que je n'ai supplié personne pour être nommé Chef d'État major et je ne me suis jamais constitué de groupe de pression. J'ai présenté les choses de façon claire: "Si vous me voulez, je suis là. Si vous ne me voulez pas, j'ai quoi faire." C'est la même phrase que je répète depuis que je suis entré dans l'armée de métier et je l'ai dite même lorsque j'étais Chef d'État major. J'ai fini ma troisième année pour ce que je suis et pour ce que j'ai dit et tout cela en toute lucidité ».
C'est devenu plus aiguë au début 2005 quand j'ai donné mon avis sur le Désengagement et aussi sur les nominations que je décris comme faisant partie intégrale du processus de corruption. J'ai affirmé alors que je ne ferai aucune nomination tant que je ne saurai pas si je reste Chef d'État major pour l'année suivante. Cela a été source de conflit quand on a tenté de me faire pression pour nommer certaines personnes bien connectées en échange d'une quatrième année comme Chef d'État major. J'ai stoppé cela de tout mon poids. La confrontation a été inévitable. Si je m'étais compromis ou si j'avais "volé des chevaux" en ignorant ces aspects nocifs, je ne me serais confronté à aucun problème. Je suis rentré en conflit avec le Premier Ministre Sharon. C'est lui qui menait cela, malgré l'influence d'autres personnes parce que son état de santé commençait à fléchir ».

Dans votre livre, vous écrivez que vous avez pensé alors à déposer votre démission, mais que vous y avez renoncé de crainte que cela soit perçu comme une tentative de renversement militaire. Y aurait-il un moment où même un Chef d'État major doit démissionner?

« Evidemment! Si un ordre est illégal, on est dans le devoir de démissionner. D'autre part, si on craint qu'une manœuvre puisse porter préjudice grave à l'État d'Israël et que le fait de démissionner puisse l'arrêter, alors on se doit de le faire. Si j'avais estimé que ma démission aurait pu arrêter le Désengagement, j'aurais démissionné, sans équivoque. Cependant, je savais que ma démission m'aurait rendu illégitime, avec raison dans une certaine mesure, comme si je m'étais positionné comme l'insubordonné numéro un.
Une telle démission aurait pu avoir un impact dans un système politique fonctionnant correctement, équilibré et contrôlé. Les médias se seraient réveillés et auraient suscité un débat public en profondeur sur les décisions prises. Mais dans le contexte pas très "réglo" que j'ai décrit précédemment, cela n'aurait pas pu se produire. Au lieu de cela, on m'aurait délégitimé sur la place publique et on m'aurait jeté aux oubliettes de l'histoire comme le Chef d'Etat major qui a tenté de faire un putsch sans effleurer le pourquoi et le comment de la question. Pour cette raison-là, me disant que je ne parviendrais en agissant ainsi à stopper ce processus, il m'était interdit de démissionner parce qu'il y a un prix à toute manœuvre non démocratique".

Donc aujourd'hui, vous remerciez le Créateur de ne pas avoir été celui qui se trouvait à la tête de la pyramide militaire pour mettre en œuvre le Désengagement?

" Dans mon livre, j'ai écrit que la nuit où on m'a informé que mon mandat prenait fin, j'ai éprouvé un grand soulagement".

Mais si on vous avait reconduit pour une quatrième année, vous vous seriez trouvé à exécuter le Désengagement auquel vous étiez tant opposé?

"J'aurai fait de mon mieux, de manière à provoquer le moindre dommage possible au peuple d'Israël".

Et c'est ce qu'a fait votre successeur?

"Je crois que oui, tout du moins en ce concerne l'armée. Je considère que le lien entre les officiers supérieurs de l'armée et les habitants des implantations n'a pas empêché complètement les dommages, mais a tout de même réduit la cassure. Regardez la différence entre le Désengagement et l'évacuation brutale d'Amona".

Nombreux sont ceux qui estiment qu'Amona était la conséquence de la passivité relative des évacués dans l'exécution du Désengagement.

"Je ne pense pas. A mon avis, à Amona, l'exécution de l'évacuation n'était pas bonne. Si j'avais été en charge de cette évacuation, j'aurais agis autrement, pas de manière aussi agressive".

A propos, nombreux sont ceux qui soutiennent que l'échec de la deuxième guerre du Liban découlait de l'exclusivité des efforts de l'armée consacrés au Désengagement.

"Je n'accepte pas cette assertion. La blessure du Désengagement a été surtout ressentie par des soldats et des officiers qui en furent atteints personnellement, surtout au sein du public du sionisme religieux. Cependant, lors de la guerre du Liban, on a constaté que c'est justement ce même secteur de la population qui s'est distingué par des actes de bravoure et sa part dans les listes des soldats tombés est très importante. C'est un honneur pour l'armée parce que Tsahal a su prendre soin de ces jeunes et n'a pas permis l'intrusion de la politique en son sein.
Par contre, l'argument disant que l'armée trop occupée au Désengagement n'a pas eu le temps de se préparer comme il se doit à la guerre du Liban est un mensonge énorme. L'armée s'était préparée à la deuxième guerre du Liban. Nous avions élaboré un plan opératif pour un tel cas de figure depuis le Chef d'Etat major jusqu'au dernier des soldats. Il est vrai que l'armée était surmenée jusqu'à la limite de son potentiel dans les différents fronts, de Gaza, de Judée Samarie, de Syrie et du Hezbollah. Dans tous les cas où les soldats ont reçu des ordres clairs et pas confus, les différentes unités, de conscrits et réservistes, ont pris le dessus de façon absolue sur le Hezbollah. Le problème est que nous n'avons pas opéré selon le cas de figure que nous nous étions fixés. Nous n'avons pas mobilisé à temps les réservistes et nous ne nous sommes pas déployés comme il le fallait. C'était une exécution médiocre.
Il est vrai que toute sorte de personnes essaieront de se soustraire de leur responsabilité et soutiendront que c'était la faute de leurs prédécesseurs. Mais en fin de compte, c'était une gestion catastrophique se conjuguant à un manque d'expérience et à l'arrogance.

En conclusion, êtes vous aujourd'hui un 'citoyen inquiet'?

"Je conclus mon livre avec optimisme. L'avantage que j'ai est que je connais la jeune génération. C'est la raison pour laquelle je travaille dans le domaine de l'éducation des jeunes dans les lycées et dans les mouvements de jeunesse. Je sais qu'une partie des jeunes ne sait rien sur notre passé lointain et plus proche. Et pourtant, nous découvrons une autre jeunesse, impliquée et engagée dans ce qui se passe dans le pays. Lors de la dernière Conférence d'Herzlia, une étude a été publiée montrant que neuf juifs sur dix désirent que l'Etat d'Israël soit juif et indépendant et sont prêts à faire des sacrifices et même à se faire tuer pour cela. Même au sein du mouvement kibboutzique, je perçois ces changements. A Groffit, le kibboutz où je vis, je vois une vague de changement exactement comme celui que j'ai vécu. Par conséquent, je suis optimiste. Mon avis personnel est que lorsque les jeunes arrivent à l'armée, il y a un creuset qui les transforme en une jeune génération imbibée de foi dans la justesse de notre cause, et ayant un potentiel formidable qui n'attend rien d'autre qu'à se réaliser pour le bénéfice de nous tous et pour l'Etat d'Israël.



mardi 5 août 2008

L’identité d’un peuple

בס"ד

L’identité d’un peuple

Par Manitou, le Rav Yéhouda Léon Ashkénazi, Zatsal


Propos recueillis par Victor Malka et publiés dans Aujourd’hui être juif, éditions du Cerf, 1984, pp. 65-75

Victor Malka : On vous présente comme un Juif mystique. Vous reconnaissez-vous dans cette appellation ?

Manitou : Le terme de mystique a différentes significations et je ne sais pas celle que vous lui donnez. Cela vient peut-être que j’ai été un des premiers, en France, après la guerre, à étudier le midrash – et sinon à l’enseigner, du moins à m’en inspirer – et les textes de la Kabbale et que pour ceux qui ne sont pas vraiment familiers à ce genre d’études, c’est le terme de mystique qui s’impose en premier lieu.

Dans la civilisation contemporaine, après la grande crise de la tradition chrétienne en Occident, et étant donné que nous parlons des langues européennes et que cela imprègne les formulations du judaïsme en Occident, il y a secondarisation de la pensée qui s’est faite. Il y a une pudeur à se présenter vraiment comme croyant. Peut-être a-t-on trouvé alors, dans le style de mon enseignement, cette identification. Et c’est cela que l’on voudrait indiquer par le terme de mystique.

Ma propre étude de ce que représentent les mystiques dans les grandes traditions culturelles m’amènerait plutôt à identifier, d’une certaine manière, l’expérience mystique à l’expérience païenne. Le mystique, c’est quelqu’un qui identifie sa personne, peu ou prou, à la divinité elle-même. Et je suis étranger à ce genre d’expérience.

Il n’y a donc pas de mystique juive ?

Je ne crois pas. Il y a des mystiques juifs dont l’expérience est intériorisée avec beaucoup de pudeur à l’échelle individuelle. Cette expérience, lorsqu’elle reste subjective, est admise par la tradition, mais si elle s’érige en orthodoxie, elle risque de devenir une hérésie.

La tradition juive se définit comme une fidélité à ce qu’a été la révélation prophétique. Or il s’est passé un évènement historique si important qu’il a disparu de la mémoire : l’arrêt de la prophétie. On ne prête pas suffisamment attention à la signification de cet évènement. Cela s’est produit il y a très longtemps, et cela a été annoncé par les prophètes hébreux eux-mêmes, en même temps que l’exil du peuple d’Israël et que la destruction du Temple. On peut, en schématisant à l’excès, indiquer trois types de réactions culturelles dans l’humanité à l’arrêt de la prophétie. En Occident est apparue la philosophie. En Orient, le mysticisme. En Israël – il s’agit de la tradition juive à proprement parler – il y a eu une réaction religieuse dans le sens classique du terme : fidélité à ce qu’a été l’évènement de la prophétie. Cet évènement avait cessé à l’échelle collective, en tant qu’expérience dévoilée. Il continue sous une autre forme à l’échelle individuelle : c’est ce que nous appelons l’inspiration du Rouah Haqodesh. Mais le fait prophétique et le fait mystique sont de natures différentes. Dans le fait de prophétie – et donc, dans la fidélité à cette mémoire – il y a altérité entre le Dieu qui parle et le croyant qui écoute sa parole. Dans l’expérience mystique, il y a confusion des substances.

A vous entendre, il n’y aurait pas de prophète mystique juif ?

C’est une erreur culturelle pure et simple d’appeler les prophètes d’Israël des mystiques. Je ne dis pas que nous ne comprenions pas l’expérience mystique, mais elle n’entre pas dans notre propos qui est de savoir et de comprendre ce que la parole révélée par le créateur du monde demande de sa créature.

Jusqu’aux années soixante-dix, vous étiez un maître à penser du judaïsme français. De partout, on venait vous consulter. La diaspora était quelque chose d’important pour vous. Puis un jour, vous avez décidé de vous installer en Israël. Considérez-vous aujourd’hui qu’on ne peut être totalement juif qu’à Jérusalem ?

En tout cas qu’en étant israélien. C’est d’abord une question d’identification. Etais-je maître à penser ? Je ne sais pas ce que cela veut dire. J’ai été essentiellement un éducateur. La manière de penser, c’est une expérience personnelle : on n’apprend pas à quelqu’un à penser. On lui transmet des contenus.

Le cheminement que vous évoquez a duré un certain temps. J’avais conscience qu’avec l’apparition de la société israélienne un évènement important était advenu dans l’histoire de notre peuple. Il y a deux mille ans, la nation hébraïque avait été détruite par la civilisation romaine. Le peuple juif, héritier des Hébreux, était né de cette destruction, mais avec des dimensions d’identité différentes. La nation hébraïque, telle que l’évoque la Bible – carte d’identité de l’Hébreu – se définissait par une formule simple : un Hébreu est un Hébreu, perçu comme tel, s’acceptant comme tel, ayant sa conception du monde (on dirait aujourd’hui sa philosophie), sa propre religion, sa langue, sa culture. C’est une identité simple, sinon à vivre, du moins à définir, parce qu’elle ne fait pas problème ; On était hébreu comme un Assyrien était assyrien et un Gaulois, gaulois… Cette manière d’être homme a eu un impact considérable dans l’histoire de l’humanité en général. Il suffit de penser entre autres à la chrétienté pour l’Occident ou à l’islam, pour l’Orient, qui sont tous deux, dans leur rivalité avec le judaïsme, des retombées de l’histoire hébraïque. C’est au niveau de la personnalité et de la manière d’être homme – pour employer le vocabulaire des personnalistes – que l’Hébreu se définissait.

Lorsque la nation hébraïque a été détruite, est donc apparue l’identité juive. Les Juifs sont en réalité, historiquement, les Judéens de la dispersion. Le mot désigne les derniers des Hébreux, les membres du deuxième royaume de Juda. L’identité juive est une identité mixte. Il n’y a jamais eu de « juif » : il n’y a eu que des judéo-quelqu’un d’autre. C’est une identité composée, composite, avec plusieurs dimensions.

Et tel a été notre cas au cours de la dernière génération de l’exil : je me suis, par exemple toujours connu comme un Juif né en Algérie, avec cette dimension d’identité algérienne qui ne me quitte pas, de culture et de citoyenneté françaises et, d’autre part, hébreu par hérédité, par nostalgie, par fidélité de la vie intérieure, par culture et par religion aussi.

Ainsi le Juif s’est-il toujours défini dans sa fidélité propre, dans deux dimensions toujours anachroniques : une dimension le reliant au passé hébreu, de nostalgie absolue, dans l’espérance de la restauration hébraïque et, d’autre part, une dimension le reliant à l’avenir.

Or deux mille ans, c’est long. Cela a été une histoire héroïque, extrêmement riche. A travers ces deux mille ans d’histoire, les Juifs ont fini par s’habituer à une situation et à un statut qui étaient nécessaires pour leur survie mais provisoires. Cela explique que bien des Juifs aient été plus que perplexes lorsque le phénomène du sionisme dans son aboutissement a restauré, dans les commencements d’une histoire qui est encore à faire, l’identité de la nation hébraïque.

C’est pourquoi vous parlez de la réhébraïsation ?

Il y a deux mille ans, l’Hébreu était devenu juif. Aujourd’hui, le Juif redevient hébreu, et c’est cela l’identité israélienne. C’est un phénomène irréversible à l’échelle collective, et c’est quand un Juif prend conscience de cette irréversibilité qu’il devient israélien.

Bien que, à l’échelle individuelle, et pour le plus grand nombre du peuple juif, un phénomène de perplexité continue d’exister. Nous sommes nombreux parmi les Israéliens à admettre comme absolument légitime le fait que le rythme de la régularisation d’identité à l’échelle individuelle ne soit pas le même que celui de la collectivité.

Ce qui signifie, en fait, que vous êtes hébreu et celui qui vous interroge juif ?

Nous sommes tous deux d’origine juive. Pour moi, cette origine trouve sa légitimation dans l’hébraïsation. D’autre part, le Juif de la diaspora est le membre de ce même peuple mais en cours d’histoire et qui cherche encore sa voie. A mon sens, il ne peut y avoir – et je schématise – que deux possibilités : ou bien la rehébraïsation, et je prends ce terme pas seulement dans le sens linguistique, même s’il est important, mais dans le sens de l’identité – ou bien une aventure dont nous ne voyons pas très bien où elle peut mener mais qui nous inquiète beaucoup : celle d’une identité juive cosmopolite qui continuerait l’histoire de l’ancienne diaspora.

Il y aurait donc deux problématiques : celle du Juif et celle de l’Hébreu ?

Pendant deux mille ans, le Juif a porté en lui cette espérance de redevenir l’Hébreu. Aujourd’hui, l’histoire a réalisé cette espérance dans les difficultés considérables que nous savons et avec une interpellation pratiquement universelle. Et c’est d’ailleurs l’indice de l’importance de l’évènement.

D’autre part, il y a une identité juive qui pose problème. Le Juif peut aujourd’hui, s’il le souhaite, régulariser son identité et pourtant il ne le fait pas. Il y a donc des obstacles de l’ordre de l’intérêt et de la perplexité….Le processus qui est en cours est lourd de virtualités.

Oui, mais en Israël aussi, il y a des Hébreux dont la relation avec le judaïsme est des plus ténues ?

Etre Juif perplexe en Israël c’est tout de même être à l’abri…. C’est être dans la maison. Etre juif perplexe dans la diaspora, c’est mettre en question le point central de son identité.

Jusqu’en 1948, la diaspora était celle du deuxième royaume de Juda. Subitement, le troisième Etat juif – Israël – apparaît. Et il y a une perpétuation de l’ancienne diaspora. Ce qui nous inquiète, ce ne sont pas tellement les juifs comme individus, mais les organisations qui projettent sur eux une idéologie fictive.

Quand on observe la vie des communautés juives en diaspora aujourd’hui – que ce soit au niveau des individus ou à celui des organisations – ce qui frappe, c’est le côté dérisoire de cette vie, et le fait qu’il n’y ait plus, aujourd’hui, que des juifs perplexes.

L’israélien moyen est davantage préoccupé par la massivité des évènements que par les questions d’idéologie ou par les définitions formelles. Les évènements sont tels qu’ils rendent caduques et fictives les analyses idéologiques.

Cette perplexité dont vous parlez était positive avant la création de l’Etat d’Israël, mais l’ampleur des évènements qui se développe autour de cette création est, pour nous, l’argument essentiel. La coalition quasi universelle contre Israël est significative. Cela prend donc le pas sur la recherche philosophique ou idéologique de savoir s’il continue d’exister une légitimité juive en dehors de l’aventure israélienne.

Peut-on être hébreu sans foi, sans dogme, sans Dieu ?

Dans la mesure où l’on participe de l’identité collective, on est conscient que, quelle que soit l’option individuelle d’athéisme ou de déjudaïsation, on fait partie d’un ensemble qui, lui, est l’un des contractants de l’alliance entre Dieu et Israël, en termes bibliques.

La différence doit être mise entre l’option individuelle et l’option collective. Je ne sais pas si on peut faire l’inventaire de ce qui sépare l’Israélien du Juif de diaspora par rapport aux problèmes dont nous parlons. Il y a cependant une point qui me parait significatif : le Juif de diaspora n’a pas encore compris que la dimension collective de son peuple s’est concrétisée. Elle était objet d’espérance ; nous parlions de peuple juif, mais nous vivions la vie de communautés parcellaires. Cette dimension collective, l’Israélien l’a réalisée.

Dans notre siècle où la prophétie n’éclaire pas les consciences, il n’est peut-être pas important que les juifs ne croient pas en Dieu. L’essentiel est qu’il sache que Dieu croit en lui.

Ce que nous savons, au fond, du Dieu qui s’est révélé à Israël, c’est le fait que l’histoire d’Israël a une signification particulière…. Il faut faire confiance à ce peuple : le fait de vivre l’accomplissement des promesses que les prophètes ont faites au nom de Dieu est une option de confiance en ce Dieu, même si on ne se sert pas du vocabulaire théologique.

Dans les derniers siècles de l’histoire des Juifs de la diaspora, il y a un grand malentendu qui s’est glissé dans les consciences : c’est une erreur de définir le judaïsme d’abord comme une religion. L’identité juive se définit, d’abord, comme celle d’un peuple. Ce peuple a, comme religion, la religion juive.

Mais il y a bien conflit – et des plus aigus – entre religieux et non religieux en Israël ?

Projeter les catégories d’opposition entre l’Eglise et l’Etat, de cléricalisme, de théocratie sur la réalité hébraïque est illégitime, aussi illégitime d’ailleurs que de les projeter sur une société islamique.

Nous en sommes aujourd’hui au stade où deux sortes de Juifs ont décidé de redevenir hébreux : ceux qui l’ont décidé pour ne plus être juifs et ceux qui l’ont décidé pour pouvoir l’être vraiment. C’est un phénomène dont l’origine remonte à l’Emancipation. Dans les pays d’Europe occidentale où il y avait peu de Juifs (la France, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie par exemple), l’Emancipation était une solution vraisemblable. Mais dans les pays d’Europe centrale et orientale – où les populations juives étaient réellement importantes – c’était là une solution difficilement praticable. Dans ces pays où est né le sionisme politique, on ne laissait pas les Juifs s’assimiler, c'est-à-dire se déjudaïser.
Un solution est alors apparue : c’était de restaurer la nation juive.

Vous confirmez que le sionisme a, d’une façon ou d’une autre, déjudaïsé le judaïsme ?

Indéniablement. Peut-être était-ce le prix à payer pour pouvoir opérer cette mutation ? Il y a une raison particulière qui éclaire la lutte entre religieux et non religieux en Israël. C’est le fait que les fondateurs du sionisme politique ont été alertés par le risque de disparition du peuple juif dans la civilisation européenne. Ils ont trouvé comme obstacle à leur projet, la tradition synagogale. La symbiose des Juifs avec l’extérieur était si forte, elle était tellement ancrée dans la société, qu’on avait cru que les persécutions qui s’annonçaient étaient une péripétie parmi d’autres et qu’on pouvait les traverser sans trop de mal.

De sorte que les fondateurs du sionisme politique, dans leur majorité, ont dû s’opposer à la tradition synagogale. Autrement dit, pour sauver les Juifs, il leur fallait détruire les communautés. La réaction des rabbins fut inévitable : ils se sont opposés au sionisme qu’ils considérèrent comme une entreprise de déjudaïsation.

Cela ressemble à une tragédie : les rabbins accusaient les sionistes de perdre l’âme des juifs, et les sionistes accusaient les rabbins de perdre leurs corps. Il fallait donc détruire le judaïsme pour sauver les Juifs. De cette problématique, nous payons encore aujourd’hui les conséquences.

Il faut tenir compte de ceci : il y a une sorte de haine réciproque qui sous-tend les relations entre religieux et non religieux. Tant que les leaders des deux courants ne s’expliqueront pas et ne découvriront pas ensemble ce qu’ils ont de commun et qui est bien plus considérable que ce qui les sépare – nous vivons ce Kulturkampf.

Ce dialogue, vous le croyez possible ?

Il commence à se faire dans la société israélienne depuis la guerre de Kippour, en 1973. On s’est rendu compte des deux côtés qu’il y avait une condition commune, dans le sens existentialiste du terme. C’est à cette époque qu’est née la formule « Israël, juif des états ». Des Israéliens non religieux ont alors commencé à réfléchir au sens juif de leur histoire et des religieux ont pris conscience de leur communauté de destin avec ceux qui ont forgé l’Etat.

Selon vous, donc, le judaïsme ne se définit pas d’abord par la religion. Pour quel type de judaïsme militez-vous ?

Il y a une définition minimale qui peut faire l’unanimité : il faut participer à l’histoire de ce peuple, quelque soit la manière dont chacun s’y insère. Et il peut parfois y avoir des expériences sur le mode négatif.

Vous voulez dire qu’être contre, c’est une manière d’être pour ?

Quand on est contre, c’est qu’on est concerné. Cela dit, il y a des niveaux d’authenticité. Il y a des courants de la vie juive qui réalisent, plus ou moins, l’authenticité de la collectivité. Je substitue pour ma part, au terme de confession religieuse, celui de la Torah qui implique l’évidence que la religion juive ne peut être qu’hébraïque. Il me semble qu’il y a eu trois dimensions de définition de notre identité qui, jusqu’à l’époque de l’Emancipation s’unifiaient. On était simultanément juif par la relation à la Terre d’Israël, à la Torah d’Israël et au peuple d’Israël.

Avec l’Emancipation, ces trois dimensions se sont disjointes et ont éclaté. Il y a encore un grand nombre de Juifs qui participent des trois dimensions à la fois.

Depuis l’Emancipation, il y a donc trois types de juifs identifiés dans l’histoire. Ceux qui se définissent uniquement par la participation à l’histoire du peuple ; ceux qui privilégient la religion (et ceux-là ont substitué l’identité de confession religieuse à la relation de la Torah), et enfin ceux qui s’affirment juifs uniquement par leur relation à la Terre, c'est-à-dire ceux que l’on appelle les sionistes non religieux.

Ces trois manières d’être juif sont toutes trois légitimes. Lorsqu’elles approfondissent leurs différences, elles ont tendance à se caricaturer et à se combattre.

Notre peuple est soumis, aujourd’hui à une pression de l’histoire quasi universelle qui l’oblige à résister au risque de disparition.

Nous avons eu à subir trois combats, et à chacun de ces combats, des Juifs ont pris le parti des ennemis de leur peuple. D’abord, on a tenté de nous couper de la Torah. Nous avons survécu et c’est déjà exceptionnel puisque nous sommes revenus, deux mille après, en Israël, avec la Torah sous le bras. Puis on a essayé de détruire le peuple, purement et simplement. Nous sommes de cette lutte, également sortis vainqueurs. Aujourd’hui, on veut nous couper de notre terre.

Il y a un ordre d’urgence, et vous trouverez sans doute paradoxal qu’un rabbin vous dises que l’ordre d’urgence, de nos jours, ce n’est pas la Torah mais l’identité du peuple et de la Terre, à l’abri de laquelle la Torah peut être authentique.

Mais il y a des Juifs, aujourd’hui, en diaspora, qui n’ont aucun rapport ni avec la Torah, ni avec la terre, ni avec le peuple d’Israël.

Ce n’est pas nouveau dans notre histoire. Ces Juifs mettent en évidence le problème de la responsabilité particulière que portent les rabbins. Ils se tiennent trop dans des positions qui nous paraissent, vues d’ici en Israël, trop archaïques. Si les éducateurs disaient la vérité aux Juifs de la diaspora en leur expliquant que leur histoire est d’abord celle d’une nation – et non celle d’un appendice culturel ou confessionnel – la conscience juive pourrait retrouver son authenticité.

Vous n’êtes pas choqué par le fait que la plupart de ceux qui prennent la parole aujourd’hui au nom du judaïsme en diaspora soient des hommes détachés de toute culture juive ?

Le judaïsme n’est pas une idéologie. Ce n’est pas le cosmopolitisme, phénomène très répandu aujourd’hui. Il y a deux mille ans, la chrétienté s’est définie comme une religion issue du peuple juif mais coupée de la nation d’Israël.

Je me demande dans quelle mesure cette idéologie cosmopolite de la diaspora ne prend pas aujourd’hui une direction parallèle. C'est-à-dire une identité d’origine juive mais coupée de la nation juive.

Que reprochez-vous au cosmopolitisme ?

Il est étranger au judaïsme, en ce sens qu’il se définit comme ne faisant partie d’aucune nation. Le judaïsme, lui, est une nation au milieu des autres mais à vocation universelle.

Comme Juif séfarade, revendiquez-vous une spécificité quelconque dans le panorama juif d’aujourd’hui ?

Absolument. Je crois que la bifurcation provoquée par l’Exil a fait exister deux types de Juifs. L’identité du Juif ashkénaze s’est formulée et exprimée dans le monde de la civilisation chrétienne. Celle du Juif séfarade s’est réalisée dans le monde islamique.

Il y a là un schéma biblique important : Israël, chez Ismaël, c’est Isaac. Chez Esau, c’est Jacob.
La problématique à l’égard du non Juif est différente, de ce fait, selon qu’il s’agit d’un Séfarade ou d’un Ashkénaze. Nous étions interpellés, en pays sépharade, par le musulman, qui a, vis-à-vis d’Israël un conflit qui concerne la terre et non le ciel. En pays ashkénaze, nous étions interpellés par le chrétien. Or le conflit – sérieux – du christianisme avec le judaïsme concerne le ciel.

Ainsi les civilisation chrétiennes s’habituent-elles à donner la citoyenneté politique à leurs Juifs, mais ont-ils place ces Juifs dans le paradis des élus ? Inversement, le musulman sait parfaitement que le ciel appartient au peuple d’Abraham, mais il n’a pas de place sur terre. Ces deux identités ont une histoire très longue et très riche. Elles existent et on ne peut pas les annuler par simple décret.

Elles restent cependant des identités de l’exil. En tant qu’Israélien venu de la diaspora, je resterai toute ma vie, à cent pour cent, séfarade. Mais je sais que mes enfants se reconnaîtront comme d’ « origine » séfarade.

Vous arrive-t-il de craindre pour l’avenir des Juifs de la diaspora, face à la vitalité de l’assimilation, des changements de noms et parfois des conversions ?

Pour un juif traditionnel, l’identité d’un Juif, quelque soit sa manière de se relier au judaïsme, est un bien très précieux. Nous sommes un peuple de rescapés. Et chaque fois que nous pensons à ces vagues d’assimilation, nous y pensons avec tristesse et inquiétude.

Il me semble que l’obstacle à cette déjudaïsation ne passe plus aujourd’hui, globalement, par la transmission de ce que l’on appelle les « valeurs juives ». Ne serait-ce que parce qu’il est parfois difficile, dans telle ou telle langue, de faire la différence entre le message du christianisme et celui du judaïsme. Beaucoup de nos valeurs sont tombées désormais dans le domaine public. L’obstacle de cette assimilation ne peut être que l’enseignement de l’hébreu comme langue. A l’abri de l’hébreu, l’assimilation est moins forte.

Nous sommes cependant bien plus inquiets devant les risques que représente la renaissance de l’antisémitisme. Chaque fois que la symbiose culturelle du judaïsme avec la civilisation locale a réussi, des catastrophes se sont abattues sur le peuple juif. Cela a été le cas de l’Espagne et de l’Allemagne…. Or, aujourd’hui, la symbiose culturelle judéo-chrétienne est en train de réussir en Amérique et aussi en Europe, particulièrement en France. Quel en sera le résultat ?

mardi 29 juillet 2008

Le meilleur moyen de sauver Guilad Shalit

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Le meilleur moyen de sauver Guilad Shalit


Par Yéhouda Wegmann

Article paru dans Mekor Rishon le 25.07.08, traduit de l’hébreu par Méir Ben-Hayoun.

N.D.L.T. Yéhouda Wegman est colonel de Réserve. Il est l’un des rares théoriciens du système de défense israélien. Il a été chargé pendant onze ans à la formation des commandants de compagnie et des commandants de bataillons et a été instructeur à l'école de commandement et d'état major.

L’un des motifs pour exiger la libération de Guilad Shalit au plus vite possible et quelque en soit le prix se fonde sur le précédent de la disparition de Ron Arad. Cette comparaison est sans aucun fondement. Ron Arad n’a été, ni vu, ni entendu, depuis qu’il s’est éjecté de son avion, de sorte qu’on ne pouvait faire porter la responsabilité de sa captivité à une organisation et à une personnalité bien définies. Pour Guilad Shalit, c’est une tout autre affaire. Shalit est détenu par le Hamas. Cette organisation se targue de maintenir en captivité et de pourvoir à ses besoins. Les deux lettres de Guilad transmises par le Hamas à sa famille confirment la responsabilité exclusive de cette organisation et des ses dirigeants quant au sort de ce prisonnier israélien.

Le moyen d’empêcher le Hamas de faire subir à Shalit ce que voudraient nous mettre en garde ceux qui comparent son cas à celui de Ron Arad est très simple

L’Etat d’Israël ne doit laisser planer aucune ambiguïté sur deux points essentiels à l’attention d’Ismaïl Haniyeh et du leadership du Hamas. Tout d’abord, Israël les considère entièrement responsables du maintien en vie de Shalit, de son bon traitement et de son état de santé. Deuxièmement, toute atteinte envers Shalit, ou sa disparition entraîneraient la liquidation violente de Haniyeh et de tout l’appareil politique du Hamas, comme ce fut le cas pour le cheikh Ahmed Yassin et pour le docteur Abd El Aziz Rantissi.

Il est très surprenant qu’un ancien patron du Shabak (services de sécurité intérieure), le général de réserve Ami Ayalon, se fasse l'écho de la similitude entre le cas Shalit et le cas Arad - qui nécessiterait de libérer une masse d’assassins en contrepartie d’un seul soldat prisonnier. Ami Ayalon, combattant courageux, s’était distingué de la plus haute marque de bravoure militaire pour son rôle dans le raid sur l’Ile Green* en 1969. Est-ce que sa vision sécuritaire aurait été submergée par le raz-de-marée populiste du slogan « ramener les enfants au plus vite et à tout prix »

« Kol Israël » (ainsi que le site guysen, ndlt) fait régulièrement le décompte des jours de captivité de Shalit. Est-ce que le métronome défaitiste de la station de radio publique israélienne a eu raison de la dureté de cet ancien baroudeur des commandos de marine ?

Les compagnons d’arme de Shalit se sont joints à Ayalon et à ceux qui s’empressent à le faire libérer à n’importe quel prix. Les soldats de la compagnie de Guilad n’ont pas fait preuve de capacité opérationnelle exceptionnelle le jour fatidique où leur camarade a été capturé. Immédiatement après avoir raccroché l’uniforme, ils ont déclenché une campagne compassionnelle hyper médiatisée qui les a menés tout droit devant le Ministre de la Défense. On peut supposer qu’à la suite de la capture de Shalit, ils en ont tiré les leçons et ont amélioré leur efficacité opérationnelle. Il aurait cependant été préférable qu’ils ne soient pas accueillis avec tous les honneurs au ministère de la Défense justement dans un contexte lié à leur plus grand fiasco opérationnel.

En absence de normes militaires claires et avec l’appui enthousiaste des médias, ceux, qui ont contribué indirectement au succès du rapt de Shalit, ont été reçus en invités de marque à la Défense. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que les jambes de ces démobilisés les aient menés tout droit au bureau du Ministre de la Défense vu la contribution de Barak aux conditions favorables au rapt de soldats créées par lui juste avant la deuxième guerre du Liban.

Après chaque kidnapping, la réflexion israélienne s'est habituée à ne se limiter qu'aux modalités de négociations et d’échanges de prisonniers au lieu de s’investir dans des aspects militaires opérationnels de sorte à rechercher des solutions créatives qui porteraient de sérieux revers à l’ennemi. Cette conception de négociations a eu des conséquences fâcheuses induisant un état d’esprit défaitiste dans le public figeant ainsi la réflexion militaire.

Lorsque le gouvernement concentre ses efforts uniquement sur des horizons d’échange de prisonniers, il exempte Tsahal de son rôle de proposer des solutions militaires audacieuses aux problèmes de rapt de soldats israéliens. L’exclusivité donnée à une réflexion comme celle en vigueur aujourd’hui n’aurait jamais pu faire naître des dénouements comme celui de l’opération Entebbé en 1976 ou le rapt des officiers syriens en 1972, qui permit de récupérer nos soldats détenus alors à Damas.

Pourquoi Tsahal devrait-il s’ingénier à trouver des solutions à hauts risques si déjà Haïm Ramon, celui qui envoie les ballons d’essai d’Olmert, laisse entendre qu’il faudra « plus de flexibilité dans les critères de libération de prisonniers palestiniens», alors que les critères déjà existants ont fondu comme neige au soleil après les précédents échanges de prisonniers.

Le gouvernement israélien actuel a une très mince chance de s’en sortir – par une transition conceptuelle radicale pour tout ce qui touche à la captivité de Shalit.

En premier lieu, le Premier Ministre devra se délester de toute mentalité d’échange qui lui a été inoculée et qui se fonde sur une conception fausse voulant que Guilad soit un « enfant ». On doit se référer à Guilad Shalit comme un héro national et pas uniquement sur un registre de compassion. On doit le considérer comme un combattant isolé en terrain ennemi qui doit se mesurer du mieux qu'il le peut, de même que les héros des générations précédentes de Tsahal. Une telle approche insufflera à son entourage, si ce n’est à lui-même s’il n’est pas complètement coupé du monde extérieur, les forces nécessaires à une lutte pour le ramener à la maison sans pour autant l’échanger contre des centaines d’assassins dont la libération engendrera sans aucun doute la mort de nombreux israéliens.


Et les médias dans tout ça ? Comme les médias constituent un magma privé de colonne vertébrale et de quelconques valeurs, il est très aisément concevable qu’ils s’adapteront très vite à cette nouvelle norme.

mardi 22 juillet 2008

Manifester en silence ?

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Manifester en silence ?
Par Méir Ben-Hayoun




Très cher Nissim Guetta,

Ci-dessous, j'ai apposé ton appel pour la manifestation de ce soir.

Manifester en silence pour la libération de Gilad Shalit? Et puis quoi encore? Et en plus, alors qu'à l'instant même, à cent mètres de l'endroit où toi et Eliezer Zis organisez la manifestation de ce soir, un arabe sur une pelleteuse a encore tué un juif et a essayé d'en assassiner plusieurs autres? Non, ça ne va pas cette histoire de "manifestation silencieuse". Le seul silencieux cachère en de telles circonstances, c'est le silencieux qu'on adapte au bout du canon d'un pistolet ou d'un fusil d’assaut, et encore! J'exagère? Si la réponse est oui, c'est que vous n'avez pas encore saisi la teneur de la tragédie nationale que nous traversons, dont la détention de Shalit n'est qu'un des aspects qui frappe l'imagination certes, mais pas le pire. Des juifs, des femmes, des personnes âgées, des enfants, se font écrabouiller régulièrement à Jérusalem par la bestialité arabe et ceci depuis huit longues années et ça n’en finit pas. On n'a pas encore réalisé? Et les arabes de Jérusalem, qui ont contribué la majorité de leur voix au Hamas lors des élections pour l'AP, continuent leur cohabitation avec nous, à nous prendre dans leurs taxis, à commercer avec nous, à travailler chez nous, à se faire soigner dans les hôpitaux, à toucher les émoluments de la sécurité sociale, comme si de rien n’était.


Manifester "dignement en silence", c'est donc ça la réponse de juifs revenus après 2000 ans à Sion?

Ca me rappelle les juifs qui allaient mourir « dignement » et en « silence ». Il y en avait même qui jouaient des symphonies magnifiques, des summums de sublimation d’exécution d’œuvres de musique classique, si tu vois ce que je ne veux pas dire?

Pas de silence ! C'est le sang du terrorisme arabe et de son soutien populaire qu'on doit exiger, à Jérusalem, à Gaza, dans le Sud Liba - faire couler le sang de l'ennemi génocidaire arabe à flot pour se venger – oui ! Pour se venger, parce que la vengeance sur les ennemis d'Israël est une valeur juive suprême. On dira bien demain matin vers la fin de la prière de Shahrit pour le psaume du jour : « El Nekamot Hashem, El Nekamot Ofia » ? Celui qui soutient le contraire, qu'il aille se confectionner une soutane et se coiffer d’un calot vaticaniste à la place de la kippa.

Le sang juif coule à flot régulièrement à Jérusalem. Une maman a jeté sa gosse de six mois par la fenêtre de sa voiture pour la sauver avant de se faire broyer elle-même. Nos ennemis nous ramènent les cadavres mutilés de nos braves et nous leur cédons des assassins à côté desquels Jack l'éventreur est un enfant de chorale. Et tout ce qu'on trouve comme mot d’ordre, c'est d’appeler à manifester en « silence » pour la libération de Gilad Shalit?

La seule revendication à exprimer à haute voix , à hurler et à en faire trembler les murs de la cité gouvernementale, de la Knesset, et de la Vieille Ville, à en faire chanceler les sièges bien rembourrés qui enveloppent les arrières trains des dirigeants du pays, c'est l'appel à la vengeance juive sans pitié. Ce sont les terroristes arabes faits prisonniers à exécuter un par un quelle que soit la raison de leur emprisonnement. C'est la tête de Berghouti à empaler sur un poteau électrique. Ce sont les résidences des arabes qui prônent l'éradication de notre Etat et soutiennent les thèses génocidaires du terrorisme à Jérusalem à mettre à disposition gratuitement pour les sans logis et pour les nouveaux immigrants. Les masses arabes en Israël s'identifient majoritairement à nos ennemis et exultent de joie depuis le défilé de triomphe de Samir Kountar à Beyrouth – nous devons les opprimer et les expulser jusqu’au dernier sans état d'âme.
Par contre, les quelques arabes innocents de tout soutien ouvert ou discret à nos ennemis doivent être épargnés.
Comment de telles mesures souhaitées par tous et par toutes peuvent elles avoir la chance de se concrétiser si on n’ose même pas les formuler clairement ?

Seulement alors, Gilad Shalit aura une chance de revenir sain en en bonne santé à la maison. Sinon sa libération, s’il n’a pas encore été exécuté Dieu préserve, dans les modalités de folie furieuse abdicataire, ce sont des centaines de juifs qui seront condamnés à mort, Dieu nous en préserve.

Je sais Nissim que tu es d’accord avec moi et que pratiquement la majorité absolue des francophones d’Israël qui sont sains de corps et d’esprit le sont aussi et sont peut-être encore plus radicaux que moi. Mais si on ne dit ces choses d’une voix claire, forte et tonitruante, le silence de ta manifestation sera plus explicite ? Comme moi, tu sais très bien que non. Alors maintenant, dis-moi quel est le vrai but de cette manifestation « silencieuse » ?

A suivre

Appel de Nissim Guetta
Vous comptez sur nous et nous comptons surtout sur vous pour ramener VIVANT Guilad Chalit merci et a ce soir mardi 22 juillet 2008 à 19h30 précise

Guilad à la maison !
VIVANT !!!
Marche silencieuse à Jérusalem pour Guilad

samedi 19 juillet 2008

Israël face à son devenir

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Israël face à son devenir

Par Manitou, le Rav Yehouda Léon Ashkénazi, Zatsal
Article publié dans l’Arche, no 439, avril 1994, pp.20-23

Deux évènements majeurs ont marqué l’année écoulée. D’une part le projet d’accord décidé à Oslo entre le présent gouvernement israélien et l’OLP, d’autre part, et alors même que se développent de difficiles négociations pour le faire aboutir, l’annonce de l’établissement de relations diplomatiques entre le Vatican et l’Etat d’Israël. Seul l’avenir dira l’importance réelle et les conséquences éventuelles de tournant pris par l’histoire d’Israël à ces deux occasions. Il est toutefois clair que, dans les deux cas, quelque chose d’irréversible s’est produit.




Israël parle, directement et en vue d’un accord réel, avec deux entités qui, à des titres divers, étaient censées représenter la contestation absolue de son existence même. D’un côté, en effet, l’Eglise catholique s’était toujours connue comme étant elle-même Israël, ayant pour capitale religieuse Jérusalem au moins autant que Rome ; de l’autre, l’OLP était censée représenter, de la manière la plus radicale, la revendication de l’islam en général, et du monde arabe en particulier, sur la terre des Hébreux[1] avec la même Jérusalem comme ville sainte et capitale politique. Là cependant doit s’arrêter l’analogie, car les enjeux, proches comme lointains, ne sont pas de même nature. Toutefois, de bons esprits pourraient déceler entre ces deux faits un lien qui ne serait pas de simple concomitance : c’est ainsi que Mgr Decourtray, archevêque de Lyon, parlant de l’accord entre le Vatican et Israël, déclare : « Il pourrait aboutir entre de bonnes relations entre Israéliens et Palestiniens. Mon espérance est celle de la paix dans ce Proche-Orient[2]… » A vue juive cependant, et selon une perspective biblique, on retiendra toutefois que, pratiquement dans le même temps, Israël amorce des négociations avec les deux autres lignées d’Abraham, avec d’une part Esau, le frère de Jacob qui lui disputait le nom d’Israël, avec, d’autre part, Ismaël qui lui disputait l’héritage de la terre d’Abraham[3]. Quoi qu’il en soit, il est clair qu’il n’est pas nécessaire de percevoir le sens juif de l’histoire d’Israël – et beaucoup d’Israéliens sont dans ce cas – pour se rendre compte cependant que la société israélienne est d’ores et déjà menée à reconsidérer de manière fondamentale la vision qu’elle avait jusque là de son projet d’identité. Et cela, essentiellement dans l’ordre de ses rapports avec l’ensemble du peuple juif. En d’autres termes, sommes-nous déjà rentrés dans l’ère post-sioniste ?


Cela sera très certainement le principal sujet qui occupera, dorénavant, les intellectuels juifs et israéliens dans leur tentative, jamais complètement aboutie, d’éclairer la nature de ce qu’ils auraient en commun. Héritage d’une mémoire ancestrale commune, d’espérances et de valeurs convergentes, un indéniable sentiment de familiarité, dans le sens de la participation à l’aventure historique d’une même famille, témoigne qu’en dépit de la différence des insertions sociologiques il s’agit bien du même peuple….Toutefois, l’environnement culturel change rapidement d’allure. Pour la diaspora – et c’était le cas à l’origine pour les fondateurs de la société israélienne – il s’agit encore d’un environnement chrétien. Même déchristianisé en grande partie, l’humanisme occidental reste celui de l’âme chrétienne. Pour la société israélienne, en revanche, la direction que prend l’engagement politique actuel est celle d’une imbrication de plus en plus évidente dans la « personnalité » arabe et islamique.

Or nul ne peut prédire le développement concret d’une société aussi dynamique que la société israélienne. Cela dépend de plus, bien évidemment, des options proprement politiques. Nul ne sait ce que seront les résultats des prochaines élections, et par conséquent les tenants des postes clés de l’éducation nationale et de l’intérieur.

Et de fait, l’objet de ces réflexions n’est pas du tout de rendre compte de la complexité extraordinairement fluide du monde politique et idéologique israélien. Mais tout autrement, de tenter de mettre en évidence un certain nombres de tendances, de lignes de rupture, qui s’annonçaient déjà depuis les origines, mais qui ne se dévoilent avec autant d’intensité que depuis les évènements de l’année écoulée. Dans une telle entreprise, l’on ne peut masquer son équation personnelle. Et je ne cacherai pas que devant ces deux problèmes, tout aussi délicats, l’un que l’autre, le rapport à la chrétienté et le rapport à l’islam, mon sentiment profond est radicalement différent. Autant j’envisage, à long terme, une régularisation positive de nos liens avec le monde chrétien, autant je vis les péripéties et la méthode des négociations avec le monde arabe, et notamment la Syrie et l’OLP, avec perplexité et inquiétude. Je dirai peut-être à une autre occasion quel serait le prix à payer pour la paix profonde avec le monde chrétien et en quoi la diaspora juive devrait inévitablement en faire les frais. Je me bornerai aujourd’hui à quelques remarques sur les conséquences des options actuelles vis-à-vis de la paix avec les Arabes, en ce qui concerne les perspectives culturelles de la société israélienne.

En fait, il s’agit de la nature « juive » de l’Etat juif. Laissons de côté le débat qui consiste à se demander si l’Etat d’Israël doit être un Etat « juif » dans le sens théocratique du terme, ou l’Etat des Juifs, leur religion étant le judaïsme. Je suis de ceux qui pensent que Herzl avait essentiellement en projet un Etat des Juifs [4] où ils pourraient prendre en main leur destinée historique et politique. L’histoire des hommes, et comme croyant cela signifie pour moi aussi la Providence, en a fait l’Etat hébreu, ou plus exactement est en train de le faire. Une mutation d’identité dont l’objet est de transformer l’identité juive en identité hébraïque retrouvée, ne peut se faire en un instantané magique. Pour comprendre de quoi il s’agit, et jusqu’à présent plus de penseurs israéliens laïcs que religieux l’avaient compris, il faut faire l’effort de distinguer entre le sens sociopolitique du mot juif, et son sens d’identité culturelle, spirituelle et religieuse. Dans le sens sociopolitique, le Juif a toujours été un Hébreu de l’exil, indexé à l’identité de cités étrangères, c'est-à-dire un « judéo-quelqu’un-d’autre ». En ce sens, tous les israéliens sont certes, sans jeu de mot, d’origine juive. Mais pour l’immense majorité d’entre eux, le «sionisme» consiste à engendrer la nation hébraïque qui n’aurait plus rien à voir avec le statut sociopolitique des Juifs de l’exil.

C’est à partir de là qu’un grave problème se pose, problème que le projet d’accord avec l’OLP, dans sa philosophie même, dévoile et accuse. Il s’avère en effet que la solidarité des membres d’une société assiégée, la jubilation de se retrouver, en hébreu, entre rescapés de cent vingt exils, avait masqué le fait que les motivations profondes de ce même sionisme étaient dangereusement différentes. J’en définirai quatre principales arbitrairement schématisées, toutes les amalgames étant possibles à l’échelle individuelle, la personne humaine étant, comme on le sait éminemment paradoxale.



En premier lieu, étaient sionistes des Juifs qui voulaient abandonner le judaïsme comme religion et spiritualité sinon comme culture et histoire, en même temps que le statut du Juif d’exil. Leur diagnostic était que même l’émancipation ne pouvait leur assurer une survie culturelle, et que pour cela il fallait se déjudaïser en hébreu. Ce type d’Israélien se trouve tant à droite qu’à gauche sur l’échiquier politique.

En second lieu, ceux qui voulaient redevenir hébreux pour pouvoir être enfin authentiquement et pleinement juifs, et pas seulement en espérance à l’échéance de réalisation toujours différée.



En troisième lieu, ceux qui refusent le sionisme de l’Etat juif, parce qu’il s’agit d’un Etat qui n’aurait pas été fondé par le Messie, mais vivent la vie israélienne à leur manière, pour le privilège qu’elle accorde d’habiter la Terre sainte.

Et puis, en fin de compte, un certain nombre de Juifs irrémédiablement cosmopolites, parlant l’hébreu certes, mais qui ne sont là que parce qu’ils sont là, sans plus. Plusieurs d’entre eux d’ailleurs occupent d’importantes fonctions dans les grandes institutions du pays.

Tout cela, c’est l’ensemble de la société israélienne en maelstrom de mutation et qui vit, dans l’accélération, l’histoire que l’on sait. Or cette société découvre subitement qu’elle est en situation d’avoir à vivre la vie culturelle d’un Etat binational dont la culture aura à intégrer les valeurs judéo hébraïques mais aussi les valeurs arabo-islamiques. Celles des Arabes israéliens en premier chef , mais aussi celles des Arabes dits palestiniens, qui forment nationalement un même ensemble, bien qu’ils soient sociologiquement distingués. En Israël même, cette découverte ne mettra pas longtemps à s’imposer. La véritable question est de savoir ce que sera la réaction de l’ensemble du peuple juif de diaspora. Tout porte à croire qu’un bouleversement des apparentements spirituels et idéologiques s’ensuivra. De la forme que cela prendra, l’on ne saurait déjà préjuger. Mais le débat qui s’annonce risque de traumatiser bien des consciences.

Et, de fait, on voit mal, dans l’état actuel des choses, de quel côté apparaîtrait l’instance d’unanimité qui pourrait garantir un cohérence minimum d’une société confrontée, sans préparation suffisante, à des décisions irréversibles pour l’avenir de son projet d’identité. Beaucoup pensent, et je suis de ceux-là, qu’il s’agit d’un problème absolument à Israël et à la diaspora. S’il est vrai que nous sommes le même peuple, il est vrai aussi que l’avenir d’Israël se joue, d’une certaine manière, dans chaque communauté juive. Sommes-nous déjà dans l’ère post-sioniste, ou bien, tout au contraire, un nouveau sionisme, celui de la maturité, est-il en train de poindre ? Et cela au prix de quels schismes, de quelles catastrophes de séparation ?

Le schéma classique de nos trois critères d’indentification, par le Peuple, par la Terre, par la Torah, restera toujours la base du débat profond. Or, jusque-là, l’interrogation dans tous les milieux se formulait à peu près de la manière suivante : lequel de ces trois ensembles doit englober les deux autres : lequel est censé définir de façon sine qua non la collectivité réelle, les deux autres devant être réservées à l’option individuelle ?

Aujourd’hui, il me semble que l’équation doit être renouvelée. Lequel de ces trois combats est-il le plus urgent, lequel est le combat actuel pour la survie des trois ? Je dirai clairement l’option de ma sensibilité politique. Mais avant cela, je voudrai indiquer que je comprends la cohérence, sinon la légitimité actuelle, d’autres options. Le vrai problème n’est pas de savoir qui aurait raison dans l’absolu : ceux qui privilégient le Peuple, ceux de la Torah ou ceux de la Terre à tout prix ; le vrai problème est à mon sens : maintenant, aujourd’hui, quel est le combat qu’il serait insensé de perdre ?

Depuis deux mille ans, nous avons été occupés à survivre comme peuple et à préserver la connaissance et la pratique de la Torah. Je ne sais si l’héroïsme de ces deux combats a été suffisamment raconté. Mais il est clair qu’ils ont été gagnés. A quel prix de souffrances, d’humiliations, de dilution et parfois même de dénaturation d’identité – avec aussi de grands moments de véritable surhaussement – chacun d’entre nous se raconte cette histoire à sa manière. Mais nous sommes arrivés au bout de cette longue marche, existant comme peuple et porteurs de notre patrimoine. Ces deux combats doivent être poursuivis. L’antisémitisme n’a pas disparu et la Torah ne s’acquiert pas une fois pour toutes. Ces deux luttes gardent toute leur nécessité, mais nous savons que nous les avons gagnées.

Pendant ce temps immense de deux mille ans, nous étions coupés de notre terre. C’est aujourd’hui que ce combat est actuel, et j’espère avoir suffisamment indiqué que l’enjeu, à mon sens, n’est pas uniquement une question d’étendue de territoires et de souveraineté. L’enjeu en est le devenir même de notre identité.

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[1] C’est ainsi que la Bible (Gen.XL, 15) nomme le pays conquis par les Cananéens au temps des Patriarches, et que les Romains avaient nommé Palestine.
[2] Interview donnée au journal La Croix du 29 décembre 1993;
[3] Gen. XXI, 10.
[4] Tel est bien le titre donné en allemand par Herzl à son livre : Der Judenstaat, l’Etat des juifs, et non Der Judische Staat, l’Etat juif.